jeudi 25 mars 2021

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 24): Des mesures plus sévères sont un nouveau coup de massue sur notre motivation... Et, selon les psychologues, c'était évitable.

Le billet suivant est une traduction d'un article paru le 25 mars sur le site de la VRT (radiotélévision flamande). Il montre le rôle qu'une approche psychologique de la pandémie pourrait jouer dans la façon dont sont décidées et communiquées les mesures sanitaires. Les deux psychologues interviewés, Maarten Vansteenkiste et Omer Van den Bergh sont membres du groupe Psychologie et Corona (dont je fais également partie). 

***

Le Comité de concertation a décidé hier que des mesures plus strictes seront prises. Il y aura un "congé de Pâques" de quatre semaines pour réduire le nombre d'infections. Les anciennes promesses ont été révoquées. C'est le énième coup de massue et, bien sûr, cela ronge la motivation. Selon les spécialistes du comportement, nous aurions pu éviter ce scénario. Il y a eu des avertissements, mais nous n’avons guère été écoutés.

 

Les salons de coiffure et les écoles fermeront à nouveau, les magasins non essentiels ne pourront être visités que sur rendez-vous. Cette décision a été prise hier lors du comité de concertation. Selon les experts, ces mesures strictes sont le seul moyen de réduire les chiffres en hausse.

 

Il y a quelques semaines, la situation était différente. La Belgique semblait alors bien se porter, certainement en comparaison avec nos pays voisins. Lors du Codeco du 5 mars, un vaste plan a donc été proposé pour la réouverture du pays. Il s'agirait d'une réouverture progressive, commençant par davantage de contacts avec l'extérieur (15 mars) et se terminant par la réouverture de la restauration (1er mai). Pas à pas, avec des dates précises. 

 

De nombreuses personnes ont réagi avec soulagement lorsque ce plan a été proposé lors d'une conférence de presse. Elle présentait l'avantage de la clarté.  Nous savions où nous en étions. La liberté semblait être en vue. 

 

L'avertissement des psychologues

 

Pourtant, tout le monde n'était pas à l'aise par rapport à cette idée. Les spécialistes du comportement du groupe d'experts "Psychologie et Corona" avaient mis en garde contre l'utilisation de dates concrètes au cours du processus de déconfinement. Ils l'ont fait parce que de telles dates peuvent saper la motivation. Ce qui semble bon pour la motivation a parfois l'effet inverse.

 

Si vous savez que les règles seront bientôt assouplies, vous ne faites que compter les jours jusqu'à ce qu'elles le soient enfin. Et pendant ce temps, votre attention se dissipe.

 

Les dates concrètes présentent un autre inconvénient. Parfois, les choses se passent différemment de ce que vous aviez anticipé (ou espéré). Le nombre d'infections augmente à nouveau, les admissions à l'hôpital augmentent, les virologues tirent la sonnette d'alarme. Puis, tôt ou tard, vous devez revenir sur vos promesses. Il faut dire que les mesures d'assouplissement ne seront finalement pas appliquées. 

 

 "Nous avons affirmé dès le départ que ce n’était pas une bonne idée de lier les assouplissements à des dates concrètes », déclare Omer Van den Bergh. « Si la situation devait se détériorer, les promesses d'assouplissement devraient être retirées. C’est frustrant. C’est pire que de ne pas avoir eu de perspective positive. »

 

Ce que les spécialistes du comportement avaient prédit s’est maintenant produit. Il n’y a pas de relaxation, mais un durcissement. Les promesses précédentes ont été retirées. Et cela pèsera inévitablement sur notre motivation.    

 

Ignorer les spécialistes du comportement

 

Les spécialistes du comportement ont remarqué depuis un certain temps que leurs conseils ne sont pas (ou pas assez) écoutés. Ils se sentent comme le "parent pauvre" dans l'approche de cette crise. 

 

Un an après le début de la crise liée à la pandémie, il n'y a toujours pas de "task force" regroupant des experts en comportement autour de la table. Un tel groupe de travail pourrait élaborer un plan cohérent, par exemple en matière de communication. Il pourrait également contribuer à orienter le comportement et à maintenir la motivation. 

 

"Il est dommage qu'au cours des derniers mois, si peu de choses aient été faites avec les conseils des experts en comportement", déclare Omer Van den Bergh. "Il y a un intérêt et une appréciation, mais cela ne se concrétise pas. C'est dommage, car il s'agit du plus grand projet de changement de comportement du siècle.  On pourrait penser que nos connaissances pourraient être utiles dans un tel contexte. "

 

"Dès le début, un rôle limité a été accordé aux spécialistes des sciences du comportement dans l'approche de la pandémie", déclare également Maarten Vansteenkiste. "Cette erreur fait qu'il est difficile pour les psychologues de peser sur la politique, même si je peux parfois faire entendre ma propre voix dans le GEMS.

 

Le fait que les psychologues aient du mal à peser sur les politiques signifie que des opportunités sont manquées. J'ai été vacciné vendredi, après quoi il faut attendre quinze minutes. Au moment idéal pour influencer le comportement, il y avait un dépliant sur les effets secondaires possibles et, pour diminuer la tension, une vidéo avec un montage photo sur la nature du Brabant oriental. En tant qu'expert en comportement, c'est à ce moment-là qu'on fulmine."

 

Des occasions ont également été manquées lors de la réouverture des salons de coiffure.  Les psychologues avaient prévenu que la réouverture pouvait avoir l'effet inverse.  Que cela saperait plutôt que de renforcer la motivation.

 

C'est parce qu'une réouverture donne aux gens le sentiment que le risque est devenu un peu plus faible. Que vous pouvez vous permettre un peu plus et que vous devez donc respecter un peu moins les règles. En d'autres termes, cela réduirait la "perception du risque".

 

Les psychologues ont également prévenu que la réouverture des salons de coiffure ne ferait que saper davantage la croyance en l'efficacité des mesures. "Depuis des semaines, nous visions un objectif de moins de 800 infections et 75 hospitalisations", explique Omer Van den Bergh. "Si vous abandonnez soudainement cet objectif sans raison crédible, vous sapez la croyance en l'utilité des mesures. Les gens ont l'impression que ça n'a pas d'importance. "

 

Les spécialistes du comportement ont donc déconseillé une réouverture, mais leur avis n'a pas été suivi. Lors du Codeco du 13 février, il a été décidé de rouvrir les salons de coiffure. 

 

Cette décision a été prise pour renforcer notre motivation. Le raisonnement est le suivant : les gens se sentiront mieux s'ils sont débarrassés de ces cheveux désordonnés et en bataille... et si les gens se sentent bien, c'est bon pour le moral. 

 

"Le Codeco est pleinement conscient du fait que les soins corporels jouent un rôle important dans la façon dont nous nous sentons", a déclaré le Premier ministre Alexander Decroo (Open VLD) lorsque la nouvelle a été annoncée. "Lorsque nous ouvrons ces activités qui ont trait aux soins du corps, c'est l'occasion de se sentir mieux à un moment très difficile." 

 

Les salons de coiffure ont rouvert leurs portes le 13 février. Ce jour-là, dans les journaux et les actualités : des coiffeurs souriants et des clients heureux avec des cheveux fraîchement coupés. 

 

Juste après, le dégrisement a suivi. Notre motivation s'est effondrée, comme l'avaient prédit les psychologues. Vous pouvez le voir clairement sur le graphique du baromètre de la motivation. La ligne bleue montre l'évolution de notre "motivation volontaire", c'est-à-dire le degré auquel les gens soutiennent pleinement les mesures. Cette motivation a fortement diminué après la réouverture des salons de coiffure au lieu d'augmenter.

 

 "Ce que l'on entend souvent de la part des politiciens, c'est que les gens attendent les assouplissements", conclut M. Van den Bergh. "Cependant, nous constatons que les moments de détente nuisent parfois à la motivation et au bien-être. Les gens ne demandent pas de la flexibilité sans raison, ils demandent de la sécurité à un coût raisonnable."

 

Motivation, motivation, motivation !

 

Un mot revient constamment parmi les conseils des spécialistes du comportement : la motivation. Depuis des mois, l’importance de la motivation dans la lutte contre une pandémie a été soulignée. C’est logique, car notre motivation détermine en grande partie notre comportement. Si vous êtes motivé, vous êtes plus susceptible de suivre les règles. Ceux qui sont moins motivés sont plus susceptibles de se laisser aller à la facilité. 

 

La motivation a également un pouvoir prédictif. « Notre motivation est liée aux taux d’hospitalisation, au taux de positivité et au nombre de décès », explique Maarten Vansteenkiste. « Plus la motivation est grande aujourd’hui, plus ces chiffres seront bas quelques semaines plus tard. Notre comportement d’aujourd’hui détermine donc les chiffres de demain. » 

 

Les fluctuations de notre motivation ont été méticuleusement cartographiées avec le baromètre de la motivation depuis le début de la pandémie.  « C’est une bonne chose que le gouvernement ait investi dans ce domaine », déclare Maarten Vansteenkiste. « Je leur suis sincèrement reconnaissant de l’avoir fait, car nous avons vu dès le début que la motivation jouerait un rôle clé dans la lutte contre la pandémie.  Entre-temps, nous avons récolté des données pendant plus de 365 jours. Je pense que c’est unique. »

 

Opportunités manquées

 

Cependant, il y a beaucoup d'opportunités manquées. Le gouvernement aurait pu faire davantage pour maintenir la motivation. Par exemple, ils auraient pu travailler avec des "objectifs intermédiaires" (balises) dans les chiffres corona au lieu de dates de réouverture absolues.

 

"Nous aurions pu lier la réouverture à certains chiffres, par exemple un maximum de 75 ou 100 hospitalisations par jour", explique Maarten Vansteenkiste. "C'est très concret et cela offre une perspective. Vous pouvez alors montrer clairement aux gens comment leur comportement peut contribuer à atteindre cet objectif. De cette manière, vous gardez la motivation, sans vous astreindre à une date précise."

 

Une autre bonne idée est l'utilisation de scénarios "si/alors". "Vous pouvez montrer aux gens différents scénarios futurs", explique Omer Van den Bergh. "Les gens peuvent alors voir par eux-mêmes comment leur comportement affecte les courbes. Où allons-nous finir si nous nous comportons comme ça ? Et si nous nous comportons comme ceci ou comme cela ? Vous pouvez expliquer tout cela clairement avec des graphiques didactiques."

 

Ce genre de scénario "si/alors" n'a pas été utilisé ces derniers mois, à une exception près : la conférence de presse du 22 février. Le premier ministre Decroo était flanqué du biostatisticien Niel Hens (UHasselt et UAntwerpen). Lors de cette conférence de presse, quatre scénarios possibles ont été présentés, à l'aide de graphiques colorés. Cela ressemblait plus à un cours universitaire qu'à une conférence de presse classique, mais c'était clair et motivant. 

 

Les spécialistes du comportement estiment qu'il est dommage que cette stratégie n'ait pas été utilisée plus souvent ces derniers mois. "L'utilisation systématique de ce type de scénarios "what/if" contribuerait à faire réfléchir les gens", déclare M. Van den Bergh. "Bien sûr, ce n'est pas comme si vous pouviez avoir tout le monde à bord. L'application de la loi reste nécessaire pour certains."

 

Vansteenkiste et Van den Bergh espèrent que dans les mois à venir, l'accent sera davantage mis sur la motivation, car celle-ci est le moteur silencieux de la lutte contre une pandémie. Si ce moteur bafouille, les choses vont mal tourner. Les derniers mois l'ont souvent montré. Il est donc préférable de maintenir le moteur en bon état de marche.


M. Vansteenkiste espère également qu'un groupe de travail composé de spécialistes du comportement sera enfin mis sur pied.  "Un tel groupe de travail pourrait avoir un effet préventif. Pour l'instant, les spécialistes du comportement ne sont consultés que lorsque les chiffres vont mal. Apparemment, il faut que le besoin soit élevé pour que des mesures soient prises. C'est dommage, car de nombreuses opportunités sont manquées."


Episodes précédents:

 

dimanche 7 février 2021

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 23): Quelques réflexions sur "Ceci n'est pas un complot"

Quelques réflexions sur le documentaire "Ceci n'est pas un complot", qui vient de sortir (je vais étoffer petit à petit). A ne lire que si vous l'avez vu ou qu'on vous l'a envoyé. Ceci est un fil que j'ai posté sur twitter et que je reprends ici (en gardant la forme numérotée) afin qu'il soit partageable ailleurs. Un premier jet que j'espère développer...

1. On est tout d'abord frappé par la différence avec Hold-Up. Pas d'effets musicaux ni de plans aériens. Non, ici, on va assister à la pandémie du point de vue du réalisateur, "citoyen lambda" qui regarde la télévision
2. Même si ça n'en fait certainement pas un documentaire complotiste, on retrouve là une figure commune du complotisme: le citoyen qui réfléchit "par lui-même" et ne se laisse pas berner par les médias. Voir à cet égard cet excellent texte de Pascal Wagner. 
3. Autre élément remarquable: les extraits sont peu situés temporellement. On ne sait pas quand les gens parlent. Par exemple, on voit le Professeur Laterre (apparemment en été) dans une USI vide...mais celle-ci sera pleine comme un oeuf lors de la seconde vague 
4. On constate aussi que le réalisateur cherche à se distinguer des "complotistes" prenant comme exemple des cas relativement extrêmes (type Qanon) et opposant sa rationalité à l'irrationalité de ces individus. 
5. Le téléspectateur peut donc être rassuré quant au fait que s'il adhère aux idées du documentaire, soit il n'est pas complotiste, soit on peut considérer qu'il est un complotiste qui s'assume: il n'est qu'un citoyen engagé cherchant à identifier les rouages du système.
6. Comme de coutume, le documentaire accuse Bill Gates d'avoir instrumentalisé la pandémie (sans que l'auteur ne rende compte explicitement de ses motivation). Et comme Gates l'a fait ouvertement, ce n'est pas un secret, et donc pas un complot (d'où le titre)
7. Intéressant que les traitements alternatifs (HCQ, artemisia...) soient évoqués mais, plutôt que de montrer combien ils ont été discrédités, on insiste sur le fait qu'il n'y ait pas eu de débat en Belgique (-> on a voulu "étouffer" cela).
8. Contrairement à Hold-up, l'auteur interroge certaines personnes qu'on ne peut guère soupçonner de complotisme (Marius Gilbert, Jean-Pierre Jacqmin, Yves Van Laethem...) Toutefois, il semble qu'on ne retient de leurs paroles que ce qui peut alimenter l'a thèse du film: le confinement est une décision politique injustifiée et restreignant de façon abusive les libertés fondamentales sans bénéfice réel et avec des coûts considérables
9. Ceci s'expliquerait d'une part par l'intérêt que verraient les médias à alimenter la peur et par les intérêts financiers des firmes pharmaceutiques via la vente de vaccins (qui financeraient les experts et influenceraient les politiques via des bureaux de consultance). La campagne de vaccination nécessiterait en effet le consentement de la population (d'où le rôle des medias). 
9. Bien que de nombreux intervenants soient interrogés, on remarquera que la thèse du film n'est jamais soumise à un regard critique. 
10. Par exemple, peut-on imaginer que les politiques soient exclusivement influencés par les intérêts des Pharma alors que d'autres secteurs, tout aussi puissants (commerce, Horeca) sont durement touchés? Sans parler des coûts énormes pour les finances publiques?
11. Le film fait beaucoup d'insinuations mais n'articule jamais exactement la nature du complot. C'est ce qui fait sa force. Il s'agit de nourrir le doute et chacun peut faire fonctionner son imagination pour construire le scénario le plus plausible, "relier les points"
12. Comme dans les images de notre enfance où il y avait des points numérotés et que la figure émergeait naturellement.
13. Le film utilise des métaphores guerrières et se termine par "il va falloir la reconquérir, la liberté". On peut y lire un appel à la violence déguisé (même si ce n'est pas l'intention de l'auteur). Dangereux donc. 
14. Un passage assez marquant montre Marc Van Ranst expliquer sa stratégie médiatique. Ce passage est assez intéressant et je m'y arrête un peu. 
15. Le fait qu'il rende compte des financements dont il dispose de l'industrie pharmaceutique est vu comme une démonstration que sa stratégie médiatique vise à "faire peur à la population" pour engraisser les Big Pharma
16. On n'envisage pas une autre possibilité: 1/ Van Ranst fait preuve de transparence en mentionnant ses possibles conflits d'intérêts et 2/ si une stratégie médiatique est nécessaire, c'est parce qu'il est intimement convaincu du danger que font peser les pandémies
17. Ceci illustre combien le raisonnement est biaisé: tous les faits sont interprétés à l'aune du complot ou de la corruption sans considérer d'autres interprétations possibles
18. Du coup, même si on n'en connaît pas exactement les contours, la conclusion, qui est en fait le préalable de toute l'analyse et a guidé la présentation des faits, est inévitable. 
19. Intéressant aussi que la conférence en question a été prononcée à Chattam House, présentée comme un "think tank" très influent. Ceci peut aisément titiller l'imaginaire complotiste  (groupe de Bilderberg etc.)
20. En outre, comme les Big Pharma sont des sociétés multinationales, faire une conférence en anglais, dans ce parterre d' "élites" fait aisément penser à une démarche conspirationniste. 
21. A contraster avec les petites associations qui ont pignon sur rue, comme "Initiative citoyenne"(une association anti-vaccination), dont l'une des fondatrices est interrogée. 
22. Le documentaire joue donc sur l'opposition classique dans le discours complotiste entre le "simple citoyen" et les "élites". 
23. Autre exemple de "mauvaise foi": comme "hold-up", le documentaire condamne le confinement sans examiner de façon critique les pays, comme la Suède, où l'expérience a été tentée (et abandonnée, tant elle est désastreuse).

24. Il y a apparemment plusieurs erreurs...mais une qui relève de mon domaine (la psycho). Au début du documentaire, on postule l'influence de messages subliminaux communiqués par les médias

25. L'idée que des stimuli puissent influencer le comportement sans avoir été perçus onsciemment ne dispose d'aucune base empirique solide. On en parle un peu dans cet article.

26. Malgré les critiques ci-dessus, je pense que le documentaire pose quelques questions pertinentes. Par exemple, j'avais aussi exprimé mes craintes quant à la symbiose entre peur et médiatisation: http://nous-et-les-autres.blogspot.com/2020/03/psychologie-sociale-du-coronavirus.html…

27. ...ou la présence de consultants privés dans les réunions du GEES. 

28. Je vais maintenant examiner s'il s'agit d'un documentaire compotiste

29. Quelles sont les caractéristiques du complotisme? Prenons Moscovici (reprenant Taguieff), qui cite 3 caractéristiques. 

30. 1. Rien n'arrive par accident. Tout est le résultat d'intentions occultes

31. Le documentaire regorge d'exemples de ce type. Les experts payés en sous-main, le fait que la presse change son discours à l'approche du CNS, etc. 

32. 2. Rien n'est tel qu'il paraît être. Les apparences sont trompeuses.

33. Ici, également, le documentaire cherche à dévoiler ce qui se cache derrière les apparences. Des gens qui se présentent comme bien intentionnés cherchent en fait à instrumentaliser votre peur pour des raisons vénales. 

34. 3. Tout es lié mais de façon occulte. Et si tout est lié, on peut donc expliquer jusqu'au moindre événement à partir d'une cause unique

35. Ici, comme je l'ai dit la nature même du complot n'est pas clairement expliquée mais il semble qu'une cause unique ("nous vendre des vaccins et se remplir les poches") qui explique de nombreux événements mentionnés dans le doc y ressemble beaucoup.

36. Remarquons que le fait que le documentaire soit complotiste n'implique pas qu'il n'y ait pas complot. Ce sont deux questions différentes 

37. Voici l'article de Moscovici:  en anglais et dans sa version originale française dactylographiée.

38. Dans le discours complotiste, ces caractéristiques sont posées à priori et orientent toute l’interprétation

39. Ce qui les différencie d’une enquête judiciaire ou journalistique qui dévoilerait un véritable complot en ayant examiné plusieurs interprétations possibles

40. Parmi les éléments découverts depuis, la référence à une figure d'extrême-droite, comme Simone Gold, médecin américain, qui a participé à l'attaque du Capitole. Voir ce billet de Daniel Tanuro. 

41. De même, les manifestions anti-lockdown en Allemagne sont présentées favorablement en oubliant de mentionner qu'elles ont été organisées par des mouvements d'extrême-droite 

42. Thibault de Bueger, étudiant à l’UCLouvain m'a envoyé une première tentative de vérification du documentaire. Merci à lui! 

43. Ici, un autre remarquable travail de vérification de "Ceci n'est pas un complot" par le médecin généraliste "Manu Ber »: Merci pour cette contribution d'utilité publique.  


A suivre (sur twitter et peut-être ici...)

mercredi 27 janvier 2021

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 22): Rock et peurs collectives

J’ai récemment été sollicité à participer à l'émission Les Temps Chantent (RTBF radio) pour parler de ce qu’une chanson célèbre des Rolling Stones, "Gimme Shelter" (1969), pouvait inspirer au psychologue social que j'étais. Sacré défi car mon univers musical est infiniment plus proche de Béla Bartók ou de Miles Davis que de Keith Richards ou Mick Jagger. J'ai donc cherché à me cultiver sur le sujet. Cette chanson nous parle de la guerre du Vietnam et des angoisses collectives qu’elle suscitait. Gimme Shelter, c’est « donne-moi un refuge ! ». Où trouvons-nous refuge pour faire face aux profondes inquiétudes qui touchent l’ensemble de la société aujourd’hui ? Dans le film « Take Shelter » de Jeff Nichols, le héros consacre sa vie à construire un abri anti-atomique dans son jardin, terrorisé par la perspective d’une attaque nucléaire. Mais personne ne comprend sa peur et ses proches finissent petit à petit par l'abandonner. Ce cas est intéressant car le personnage cherche à se protéger dans son abri en béton plutôt qu'auprès ses proches qui, eux, ne peuvent rien face à une éventuelle attaque nucléaire.

Pourtant face à l’anxiété, la première réaction est de se tourner vers les autres. Une illustration très parlante de ce phénomène est une étude menée aux Etats-Unis en 1959 par Stanley Schachter. Dans celle-ci, on annonçait à un groupe de jeunes femmes que, dans le cadre de l’expérience, elles subiraient des chocs électriques qui, bien qu’inoffensifs, seraient douloureux. Appelons ce groupe « forte anxiété ». A un autre groupe, on annonçait que les chocs électriques seraient légers et indolores. Appelons ce groupe « faible anxiété ». On signalait toutefois que le laboratoire où se déroulerait l’expérience n’était pas encore libre. En attendant, les jeunes femmes devraient attendre dans une autre salle. On leur donnait le choix entre deux d'entre elles : l’une où elles seraient seules et l’autre où elles seraient en compagnie d’autres participants. On constate que dans la condition de forte anxiété, les jeunes femmes sont beaucoup plus nombreuses à vouloir passer l’expérience en compagnie d’autrui. Mais pourquoi donc ? Espèrent-elles diminuer leur anxiété ? Pas du tout ! Attendre avec les autres ne remplit pas du tout cette fonction. Souhaitent-elles passer un « bon moment » avant de souffrir ? Non, aucune de ces explications ne tient. D’ailleurs, si elles ont l’occasion de passer du temps avec d’autres jeunes femmes qui, elles, ne participent pas à l’expérience, elles ne manifestent pas un désir plus grand d'être en leur compagnie que de rester seules. L’explication semble être tout autre : pour répondre à l’angoisse, nous cherchons à nous faire une idée du sort qui nous attend. Autrement dit, pour faire face au sentiment d’incertitude qui nous accable, nous comptons sur les autres. A travers autrui, nous saurons s’il est légitime ou non d’être angoissé. L’autre nous aide à cerner cette réalité incertaine…Forte de cette hypothèse, une étude ultérieure a montré que lorsque la douleur des chocs était présentée comme incertaine, les jeunes femmes souhaitaient davantage la compagnie d’autrui que lorsque la douleur était inéluctable. C’est donc bien l’incertitude qui nourrit le besoin de la compagnie d’autrui.

 

Face à des angoisses collectives, nous procédons de la même façon. Nous cherchons généralement la compagnie d’autrui. Si l’on est vraiment inquiet par la perspective d’une guerre nucléaire, on cherchera avant tout à se mobiliser pour comprendre et appréhender cette menace, évaluer son importance et y faire face collectivement. Aujourd’hui, avec le coronavirus, les gens cherchent également à analyser le danger à travers ce même processus de comparaison sociale. A travers les autres, nous choisirons des grilles de lecture de la réalité qui nous permettront de faire sens de la situation et de répondre à notre angoisse. Le succès des théories conspirationnistes sur la COVID-19 peut à cet égard se comprendre. D'une part,  celles-ci donnent une explication simple à la pandémie et aux mesures qui nous accablent. D'autre part, elles nous rassurent (la Covid n’est pas plus grave qu’une petite grippe). Enfin,  elles sont portées par des communautés, qui jouent un peu le même rôle que les jeunes femmes dans la salle d’attente de l’étude de Stanley Schachter. Ces groupes nous donnent également un sentiment de pouvoir faire face à la menace, de résister ici à l’oppresseur. Les autres sont donc notre refuge. Naturellement, une peur collective n’implique pas nécessairement d’adhérer à des croyances conspirationnistes. En témoignent la solidarité et la discipline dont ont fait preuve certaines communautés, notamment en Asie mais aussi en Europe, pour répondre à la Covid, en se basant sur les connaissances bien établies à ce sujet.

 

Certaines théories en psychologie poussent le raisonnement plus loin. La théorie de la gestion de la peur  propose ainsi que les êtres humains se distinguent des autres animaux par le fait qu’ils ont conscience de leur propre mortalité. Ils mettraient dès lors en place des mécanismes permettant de répondre à l’anxiété que génère ce sentiment. Les auteurs de cette théorie mettent en évidence trois mécanismes en particulier : 


Premièrement, la culture, qui nous donne accès à des représentations nous permettant de transcender notre mortalité, par exemple la croyance en l’au-delà. En second lieu, l’estime de soi, car celle-ci nous indique en fait dans quelle mesure nous nous conformons aux normes culturelles (et donc contribuons en quelque sorte à notre immortalité). Et troisièment, les relations avec autrui, qui, comme dans l’expérience de Schachter, nous permettent de valider notre vision du monde et notre soi. Une des hypothèses découlant de ces travaux est la suivante : lorsque la peur de la mort est particulièrement présente à l’esprit, comme c’est souvent le cas aujourd’hui avec la pandémie, les gens ont davantage tendance à se raccrocher à des croyances culturellement partagées. Pour mettre ces idées à l’épreuve, les auteurs de cette théories ont mené de nombreuses études, qui se sont généralement avérées concluantes. Dans une de celles-ci, assez amusante, des chercheurs ont recruté des étudiants dont ils connaissaient les orientations politiques. Ils ont introduit une manipulation subtile, qui consistait à demander à la moitié de leurs sujets d’envisager comment ils voyaient leur décès (je sais ce n’est pas très joyeux) et aux autres d’envisager une visite chez le dentiste (ce n’est pas drôle non plus, mais normalement on n’en meurt pas). Suite à cette manipulation, les sujets étaient confrontés à un comparse qui exprimait des attitudes politiques. Ils avaient ensuite l’opportunité d’agresser ce participant…en lui faisant déguster une sauce piquante et particulièrement violente pour le palais (pour des raisons éthiques, difficile de donner un gant de boxe aux sujets). Les sujets qui avaient dû penser à leur propre mortalité agressaient davantage une personne exprimant des attitudes contraire aux leurs que ceux qui avaient dû penser à une visite chez le dentiste. Lorsque la faucheuse pointe le bout de son nez, on aurait donc besoin de se raccrocher à ses certitudes en agressant ceux qui les menacent. En toute franchise, je dois dire que ces travaux sont controversés et que tout le monde n’a pas réussi à reproduire ces résultats. Mais c’est souvent comme cela que la science fonctionne….

 

Quoi qu’il en soit, le refuge face à l’angoisse et à la terreur, ce n’est pas un abri nucléaire ou un terrier, mais les autres. Ce sont eux qui nous permettent de mieux appréhender le monde qui nous entoure et parfois, de nous donner l’illusion que la menace n’en n’est pas une.


                                                    ****


Merci à Patrick Rateau pour ses suggestions à ce sujet et à Cécile Poss pour l'invitation à parler de cette chanson sur les ondes...


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Episodes précédents: 


samedi 16 janvier 2021

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 21): Que sait-on de ceux qui hésitent à se faire vacciner?

(ceci est le texte d'une intervention faite lors du "Grand Tour de la Médecine" le 16 janvier 2021)


Durant ces quinze minutes, je vais évoquer la question de l’hésitation vaccinale, en adoptant une perspective psychosociale – ma discipline. Mon exposé prendra la forme d’une série de questions. 

Qu’est-ce que l’hésitation vaccinale ? 


Selon l’OMS, l’hésitation vaccinale fait référence aux retards dans le recours à la vaccination ou au refus de se faire vacciner en dépit de la disponibilité de services de vaccination. Selon cette définition, il s’agit d’un comportement et non d’une attitude. Ce comportement peut s’expliquer par une méfiance vis-à-vis des vaccins mais pas nécessairement. Le groupe d’experts SAGE de l’OMS suggère qu’il y a trois grandes catégories de facteurs qui expliquent ce comportement. On distingue la confiance (ou le maque), mais également la complaisance (complacency) et le confort (convenience). On parle des 3C. 


Pour se faire vacciner, il faut en effet avoir confiance mais il faut aussi se « bouger les fesses » si vous me permettez l’expression et avoir le sentiment qu’il est relativement aisé de se faire vacciner. Bref, l’hésitation vaccinale n’est pas à confondre avec l’anti-vaccinalisme, ou l’opposition aux vaccins. Celle-ci s’intègre dans un mouvement social, que je ne peux pas traiter ici, par manque de temps. 


Il en résulte également que l’on peut regrouper les hésitants en différentes catégories selon leurs attitudes vis-à-vis de la vaccination : certains sont très favorables sur le principe mais pas suffisamment motivés, d’autres ont des doutes sur l’un ou l’autre vaccin mais sont en revanche prêts à s’en faire administrer d’autres. Enfin, une même personne peut être hésitante à un moment et pas à l’autre. On voit par exemple dans notre baromètre sur la vaccination que les intentions vaccinales par rapport au Covid19 évoluent très rapidement en fonction du temps. L’hésitation vaccinale n’est donc pas une propriété des individus mais dépend de l’interaction entre le contexte et l’individu. 


Qui sont les hésitants vaccinaux? 


D’un point de vue socio-démographique, on constate plusieurs éléments (Kessels, Luyten, & Tubeux, 2020) :

  • Un effet de genre (les femmes sont en moyenne moins susceptibles de se faire vacciner)
  • Les 25/34 ans tendent à être les plus hésitants. Ce sont les plus âgés qui le sont le moins. 
  • Le niveau d’éducation ne joue pas un rôle clair. Alors que certaines études montrent que plus on est diplômé, plus on est favorable à la vaccination, d’autres indiquent une hésitation plus marquées chez certaines catégories diplômées. C’est notamment le cas pour le vaccin HPV.  
  • En termes de profession, c’est dans les catégories intermédiaires que l’on retrouve le plus d’hésitants vaccinaux: professions paramédicales, enseignants du primaire, secondaire, travailleurs sociaux etc. (Peretti-Watel et al., 2014). 

Ayant brossé ce rapide portrait, envisageons les déterminants de l’hésitation vaccinale. 


L’hésitation vaccinale est-elle due à un manque d’informations ? 


Lorsqu’on analyse des sondages sur l’hésitation vaccinale, on constate que la raison la plus communément citée par les hésitants est la crainte d’effets indésirables. Par exemple, certains hésitants pensent que le vaccin Pfizer va modifier notre ADN. Ceci peut être attribué à un déficit d’information, ou à de mauvaises informations. Et de nombreuses informations fausses circulent sur la vaccination et l’immunité. Par exemple, certains sont convaincus qu’il suffit de prendre de la vitamine D pour « booster » son immunité et échapper à une infection à la Covid-19. C’est le cas de l’ex-député européen Ecolo Paul Lannoye. 


Partant de ce constat, beaucoup de médecins ou de professionnels de la santé pensent que ces gens sont juste mal ou insuffisamment informés. C’est certes un élément important mais on constate que ce ne sont pas nécessairement les moins informés ou les moins diplômés qui sont les plus résistants aux vaccins, comme l’illustre d’ailleurs le cas de Paul Lannoye. Par ailleurs, on a des raisons de croire que les justifications mentionnées dans les enquêtes sont souvent des rationalisations par rapport à des ressentis ou des émotions plus profonde liées à la démarche de se faire injecter une substance qui n’a pas fait ses preuves dans le corps. 


L’hésitation vaccinale est-elle due à des déficits de raisonnement ? 


Deuxième facteur qu’on invoque: les biais cognitifs. Parmi ceux-ci, on cite souvent une difficulté à appréhender le risque (voir ce billet-ci à ce sujet). Par exemple, pour argumenter sa méfiance, on citera des cas extrêmement rares d’enfants qui ont reçu un diagnostic d’autisme peu après avoir reçu le vaccin Rougeole-Rubéole-Oreillons. Ce vaccin est administré dans la tranche d’âge où les premiers symptômes de troubles autistiques sont susceptibles de se manifesters, ce qui mène, par  simple coïncidence statistique, à une corrélation entre vaccination et diagnostic d’autisme. Mais on a souvent de la peine à se départir de l’impression que si deux événements se suivent, l’un n’a pas causé l’autre. 


Autre biais : la façon dont les décisions sont prises par les patients. Le vaccin implique de faire une action pour ne pas être malade, tout en risquant de l’être (à cause des effets secondaires). De nombreux  travaux (Reyna, 2012) montrent que les décisions en termes de santé sont souvent basées sur des raisonnement très simples. Globalement, les gens font des choix basés sur une opposition binaire : entre « se sentir bien » et « ne pas se sentir bien ». Prendre le vaccin alors qu’on se sent bien est contraire à cette heuristique : si on se sent déjà bien, il faut faire une action qui peut mener à ne pas se sentir bien. Les discours antivax se marient évidemment beaucoup mieux avec ce type d’heuristique que le discours médical traditionnel. 


Ce type de biais cognitifs intervient également. Mais c’est une lecture qui me semble insuffisante car elle tend à limiter l’analyse à des facteurs individuels : en effet, selon cette vision des choses, il suffirait d’informer les gens correctement ou de les aider à réfléchir « rationnellement » pour transformer les hésitants en convaincus. C’est certes utile mais ça ne suffit pas. Il manque une pierre à l’édifice. 


L’hésitation vaccinale est-elle un phénomène collectif ? 


S’il est une réalité qui est bien démontrée en psychologie sociale, c’est que les individus n’élaborent pas leurs convictions sur base simplement d’un traitement individuel de l’information. L’adhésion ou non à une attitude ou à un comportement dépend de l’ancrage dans des collectivités (Spears, 2020). Par exemple, des expériences célèbres montrent que même notre perception visuelle, la façon dont on identifie des couleurs ou dont on évalue la longueur d’un objet, peut être influencée par le fait que les membres d’un groupe auquel on s’identifie, perçoivent ces stimuli comme tels. 


S’il en est ainsi pour la perception, c’est encore plus le cas en ce qui concerne les attitudes et les comportements. Ma propre disposition à me faire vacciner dépend en premier lieu de la disposition à le faire de la ou des communautés que je fréquente et auxquelles je m’identifie. 


Et précisément, les attitudes vaccinales s’inscrivent dans des communautés d’appartenance. Par exemple, des études menées en Australie (Attwell, Smith, & Ward, 2018) montrent que pour les parents hésitants vaccinaux, il y a une vraie opposition entre deux groupes : l’endogroupe - « nous, qui sommes attachés à la nature » et les « autres malsains », qui adhèrent sans trop réfléchir aux pratiques toxiques d’une société de consommation industrielle. La perception du vaccin vient se greffer sur cette vision du monde. On voit dans celui-ci une réponse technologique qui rompt l’équilibre avec la nature. Un discours scientifique « traditionnel » ne peut pas aisément s’intégrer avec cette vision du monde. Le greffon ne prendrait pas si vous me permettez l’analogie. Mais plus fondamentalement, cette opposition nature / société industrielle structure l’identité de ces parents, leur mode de vie, leurs choix pédagogiques, leurs interactions avec leur communauté et tous les bénéfices secondaires qu’elle leur apporte.   L’appartenance à une collectivité est, comme on le sait, un des meilleurs garants de la santé mentale.  




A la lumière de cette analyse, lorsque les autorités sanitaires, le Lancet ou un médecin généraliste nous communiquent des informations sur la vaccination, l’adhésion à ce message dépend de l’identification à la communauté que lui ou elle représente. Est-ce que ce gouvernement se soucie de mes intérêts ? Est-ce que je m’identifie à la science comme source d’une vision du monde ? Pour être efficace, l’information doit provenir d’une source à laquelle on s’identifie. 

  

Or, c'est dans des situations d’incertitude, d’anxiété, que l’on va être particulièrement désireux d’adhérer à l’avis de notre communauté sur la source de cette anxiété (Echterhoff, Higgins, & Levine, 2009). Clairement, la pandémie, source d’incertitude évidente, est propice à susciter ces comportements visant à se raccrocher à sa communauté, ou à une communauté modèle, et à y chercher des informations. Inversement, lorsqu’on s’identifie déjà à une ou des communautés, il y a une propension forte à adhérer à son discours afin de ne pas en être exclu.  


Dans ce contexte, la prolifération de sites et de communautés discutant de la vaccination sur internet, permet à tous ces hésitants vaccinaux de s’affilier à des groupes et de récolter des informations qui se conforment à leurs croyances. Elle permet aussi de les échanger entre leurs membres, ce qui est souvent une source de valorisation mutuelle. Les communautés qui portent des discours antivax sont du reste beaucoup plus motivées et actives dans la diffusion d’informations que les autorités ou personnes favorables à la vaccination. Pour ces dernières, son utilité est une évidence qui n’a pas grandement besoin d’être démontrée. Par ailleurs, les experts comme les médecins ont beaucoup d’autres chats à fouetter que de communiquer sur internet à propos de la vaccination ! Cela crée ce qu’on appelle une asymétrie informationnelle, susceptible d’influencer tout particulièrement les gens qui sont à la marge et n’ont pas d’opinion claire sur la question. 


Quel rôle pour les médecins par rapport à l’hésitation vaccinale ? 


Cette analyse implique également d’intégrer les acteurs auxquels les gens ont confiance – et je pense tout particulièrement aux médecins généralistes, qui viennent en tête. Des enquêtes ont montré par exemple que, toutes choses égales par ailleurs, les gens étaient beaucoup plus disposés à se faire vacciner si leur médecin le leur recommandait (Brien, Kong & Buckeridge, 2009). Ceci montre que l’hésitation vaccinale ne reflète pas nécessairement une hostilité idéologique au savoir scientifique ou à la science. 


Lors d’une émission récente à la RTBF (« A Votre Avis » le 9/12/2021), Philippe De Vos de l’Absym (syndicats médicaux) soulignait l’importance de consulter son médecin généraliste – dans l’espoir qu’il ou elle ramène les hésitants à la raison. Le journaliste interroge alors une dame qui est en duplex : 


  • Journaliste : Qu’est-ce que vous allez faire ?
  • Téléspectatrice : Je ne me ferai pas vacciner`
  • J : Si votre médecin de famille vous dit « c’est bon pour vous », est-ce que vous changez d’avis ?
  • T : Il m’a dit de ne pas me faire vacciner

On voit donc ici que la confiance au médecin n’est pas nécessairement antithétique avec l’hésitation vaccinale. Le médecin lui-même peut être porteur d’hésitations (on voit d’ailleurs dans plusieurs sondages que l’hésitation vaccinale est présente chez un certain nombre d’entre eux). 


A cet égard, le discours complotiste qui accompagne les antivax recourt souvent à une opposition entre l’ « expert » / le scientifique de laboratoire ou l’épidémiologue et le « médecin de terrain », proche de ses patients qui, lui, aurait accès à la vérité. Les complotistes revendiquent ici une adhésion à la science mais dépouillée de son caractère institutionnel, désincarné, loin des « gens ». 


Qu’exprime l’hésitation vaccinale? 


Si l’hésitation vaccinale se définit comme un comportement, on peut souvent y voir l’expression d’un positionnement, d’une attitude, par rapport à un objet. Avoir une attitude par rapport à quelque chose ne reflète pas uniquement les informations dont on dispose à ce propos. Elle sert aussi à manifester la façon dont on se situe dans l’espace social lié à cet objet. C’est ce qu’on appelle la fonction « expressive » des attitudes. Il en va de même en ce qui concerne l’hésitation vaccinale. On a pu ainsi montrer que celle-ci  était fortement liée à un trait de personnalité, la tendance à la réactance (Hornsey et al., 2018). Il s’agit précisément du fait d’exprimer sa liberté par rapport à une injonction qui nous est faite (en la refusant, comme dans la bande-dessinée ci-dessous). Je vous donne deux exemples de cette dimension expressive :


  • Le mouvement anti-vaccin a été souvent porté par des femmes (Salvadori et Vignaud, 2019).   Pourquoi ? Parce qu’il s’agissait de vacciner des enfants – c’est-à-dire le domaine des femmes, jusqu’il y a peu. Et parce que les injonctions à la vaccination, jusqu’à très récemment, proviennent d’hommes – médecins, experts, politiques – dans une société profondément patriarcale. Je fais l’hypothèse que ce mouvement exprime en partie un opposition à cet ordre patriarcal, plus qu’une forme d’irrationalité ou un manque de connaissances scientifiques. 
  • Deuxième exemple. En France, on constate que, parmi les professionnels de la santé, l’anti-vaccinalisme est particulièrement représenté dans les professions intermédiaires : infirmières, sage-femmes, etc, plus que chez les médecins (Thomire & Raude, 2020). En revanche, ces travailleurs – souvent des travailleuses – adhèrent davantage aux médecines douces et recommandent volontiers ce type de traitement à leur patients. Pourquoi ? D’après certains de  mes collègues, elles se sentent souvent dépossédées de toute autorité par rapport aux médecins. Proposer ce type de traitement, c’est une façon de se ménager un espace de compétences, qui seront valorisées si les conseils prodigués donnent des résultats positifs. Mais naturellement, l’adhésion aux médecines douces s’accompagne très souvent d’une grande méfiance par rapport aux vaccins.


Conclusions


Que conclure de tout ceci ? Pour lutter contre l’hésitation vaccinale, il ne faut pas diaboliser les « hésitants » en les considérant comme des antivaccins, des imbéciles ou encore des irresponsables. Stigmatiser les hésitants, c’est la meilleure façon de les envoyer dans les bras des mouvements antivaccins (voir ce billet-ci). Au contraire, en les informant sans jugement via des canaux auxquels ils peuvent s’identifier (comme leur médecin généraliste, leur pharmacien de quartier, tel ou tel épidémiologue médiatisé qui sera davantage susceptible de les toucher), on peut espérer convaincre. Et de même, en faisant le pari du consentement plutôt que de l’obligation, on peut mener les individus à s’approprier véritablement le choix de la vaccination, à ne pas le faire par obligation mais par conviction. 


C'est là, globalement, la politique qui a été poursuivie en Belgique. D’après les résultats de notre baromètre, qui montre une augmentation des intentions de vaccination, il semble que cette stratégie s'avère payante. 





PS: Merci à Vincent Yzerbyt et Anne-Laure Rousseau pour leurs commentaires sur une version antérieure de ce texte. 


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Episodes précédents: 




Références :


Attwell, K., Smith, D. T., & Ward, P. R. (2018). ‘The Unhealthy Other’: How vaccine rejecting parents construct the vaccinating mainstream. Vaccine36(12), 1621-1626.

Bronner, G. (2013). La démocratie des crédules. Presses universitaires de France.

Brien S, Kwong JC, Buckeridge DL. The determinants of 2009 pandemic A/H1N1 influenza vaccination: A systematic review. Vaccine. 2012;30(7):1255-1264. 

Echterhoff, G., Higgins, E. T., & Levine, J. M. (2009). Shared reality: Experiencing commonality with others' inner states about the world. Perspectives on Psychological Science4(5), 496-521.

Hornsey, M. J., Harris, E. A., & Fielding, K. S. (2018). The psychological roots of anti-vaccination attitudes: A 24-nation investigation. Health Psychology37(4), 307.

Kim, M.-S., & Hunter, J. E. (1993). Attitude–behavior relations : A meta-analysis of attitudinal relevance and topic. Journal of Communication43(1), 101‑142. 

Kessels, R., Luyten, J. & Tubeuf, S. (2020). Willingness to get vaccinated against Covid-19: profiles and attitudes towards vaccination. Discussion paper. 2020/35. 

Peretti-Watel, P., Raude, J., Sagaon-Teyssier, L., Constant, A., Verger, P., & Beck, F. (2014). Attitudes toward vaccination and the H1N1 vaccine: poor people's unfounded fears or legitimate concerns of the elite?. Social Science & Medicine109, 10-18.

Reyna, V. F. (2012). Risk perception and communication in vaccination decisions: A fuzzy-trace theory approach. Vaccine30(25), 3790-3797.

Smith, N., & Graham, T. (2019). Mapping the anti-vaccination movement on Facebook. Information, Communication & Society22(9), 1310‑1327. 

Thomire, A., & Raude, J. (2020). The role of alternative and complementary medical practices in vaccine hesitancy among nurses: A cross-sectional survey in Brittany. Médecine et Maladies Infectieuses.

Ward, J. K. (2016). Rethinking the antivaccine movement concept: a case study of public criticism of the swine flu vaccine’s safety in France. Social Science & Medicine159, 48-57.