vendredi 18 décembre 2020

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 20): Vaccin anti-Covid: "Les personnes vulnérables et les motivées d'abord!"

 (une carte blanche au nom du groupe psychologie et corona publiée le 17/12 dans l'Echo. Je la partage ici vu les difficultés d'accès pour certains). 




Après un Noël inhabituel, l’année nouvelle débutera avec le lancement d'un programme de vaccination visant à nous libérer de l'emprise du coronavirus. Son déploiement représente un énorme défi logistique. Cela prendra de longs mois et tout le monde ne pourra pas se faire vacciner en même temps.


En outre, les données récentes du baromètre de motivation de l’Université de Gand, en collaboration avec l’UCLouvain et l’ULB, montrent que 56% de la population se déclare prête à se faire vacciner, tandis qu'un tiers environ veut regarder d’où vient le vent ou ne fait pas confiance au vaccin. D’autres sont carrément opposés à la vaccination. Or, il faut une couverture vaccinale de 70% pour atteindre une immunité de groupe suffisante. 


Notre comportement est donc non seulement la clé de la prévention de la propagation du virus, mais il détermine aussi le succès de l’ensemble du programme de vaccination. Deux questions cruciales se posent donc: comment parvenir à une couverture vaccinale suffisante dans la population et comment déterminer une séquence de vaccination. 




Débat sans issue


Peu de discussions portent sur les priorités médicales: d'abord les groupes vulnérables dans les maisons de repos, les plus de 65 ans, les plus de 50 ans avec facteurs de risque et le personnel des soins de santé. Ensuite, l'ordre de priorité est nettement moins clair. Le débat peut être alimenté par un large éventail d'arguments éthiques, économiques et sanitaires. Gageons que les différents groupes d'intérêt mettront tout en œuvre pour en orienter les conclusions. La fixation de priorités stimulera des motivations égoïstes et des sentiments d’injustice, colorant négativement la question de la vaccination. Ceux qui seront déclarés prioritaires, mais ne voudront pas se faire vacciner subiront des pressions, ce qui réduira encore leur motivation et donc celle de la population. Bref, la fixation de priorités mènera à un débat sociétal et politique enflammé, polarisant et sans réelle issue.



Les personnes motivées d'abord

Épargnons-nous cette douloureuse discussion et optons pour une solution bien plus simple. Les données récentes du baromètre de motivation montrent que deux facteurs déterminent la volonté de se faire vacciner: la conviction personnelle au sujet de la vaccination et (dans un sens négatif) la méfiance à l'égard du vaccin. Le groupe de travail "Psychologie et Corona" propose donc qu’après les priorités médicales on ouvre la porte à toute personne qui souhaite se faire vacciner volontairement sur la base du principe "premier arrivé, premier servi".

Vacciner les plus motivés offre une série d’avantages.

Tout d'abord, il ne faut pas convaincre ces personnes au préalable. Elles le sont déjà. Ensuite, on retrouve ces personnes dans tous les groupes sociodémographiques du pays même si les personnes âgées se montrent aujourd’hui un brin plus enthousiastes que les plus jeunes. Si ces personnes se vaccinent pour elles-mêmes, elles le font aussi par solidarité avec les autres et pour le bien commun. Elles sont dès lors prêtes à encourager d'autres et se déclarent même disposées à agir en tant qu'ambassadrices dans des campagnes de promotion. Le risque d'abandon entre les deux prises du vaccin sera aussi bien plus limité. En outre, ce sont les personnes motivées qui sont les plus disposées à poursuivre l‘effort des gestes barrières nécessaires au-delà de la vaccination.

Un autre avantage est que ces personnes font confiance au vaccin. Bien sûr, pas de façon inconditionnelle, mais si une analyse scrupuleuse et transparente par des experts d'organismes indépendants conclut que le vaccin est sûr, cette confiance est justifiée. Le manque de confiance présente plusieurs inconvénients. Il va de pair avec la crainte que le vaccin provoque des effets désagréables, et cette crainte est une recette idéale pour l’émergence d’effets nocebo (l'inverse du placebo). Les effets nocebo se produiront donc moins souvent et seront dès lors moins médiatisés. L'administration d'un vaccin, même sûr, sera aussi suivie de problèmes de santé chez certains. Ces cas surgiraient même en l’absence du vaccin, mais peuvent lui être attribués à tort. Or, faire la distinction entre "suivi par" et "causé par" est souvent très difficile. Rien de plus tentant pour les utilisateurs de médias sociaux que de déballer les histoires de gens qui auront développé des symptômes après avoir été vaccinés, alimentant la méfiance. Les personnes qui ont confiance et se font vacciner par conviction sont nettement moins enclines à attribuer à tort l’apparition de symptômes soudains au vaccin.


La simplicité avant tout

En misant sur la liberté de choix comme principe de base, ce sont des images de fierté, de joie et de soulagement qui accompagneront l'administration du vaccin. Cette approche réduit le risque qu’on attribue au vaccin des inconvénients injustifiés, et les témoignages des personnes vaccinées montreront que les effets secondaires sont tout au plus limités et de courte durée. Cela contribuera à faire que celles et ceux qui ont des doutes puissent se défaire de leurs hésitations.

À côté de cela, il faudra entendre les interrogations de la population et fournir l’information nécessaire pour apaiser les craintes. Au vu du rôle central de la confiance, il est également fondamental de pouvoir travailler avec les professionnels de la santé qui, au vu de notre enquête, bénéficient du plus grand crédit.


Il s’agira aussi de mobiliser les nombreuses organisations et associations qui maillent notre pays afin de faciliter l’accès de tous, y compris les plus démunis et les moins informés, à la vaccination. Bien sûr, on aura toujours besoin de communication motivante et de mesures de soutien psychologique, mais au moins nous ne rendrons pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà. En optant pour les personnes vulnérables et les plus motivées d’abord, il s’agit donc de "faire simple", ce qui sera déjà en soi assez difficile sur le plan strictement logistique.

Par Olivier Klein (ULB), Olivier Luminet (UCLouvain), Omer Van den Bergh (KU Leuven), Maarten Vansteenkiste (UGent) et Vincent Yzerbyt (UCLouvain)

Au nom du groupe d’experts "Psychologie & Corona"

https://www.uppcf.be/groupe-experts-psychologie-et-covid

mercredi 16 décembre 2020

Etes-vous "algorithm aware"?


Avez-vous un compte Twitter ou Facebook? Si oui,  vous voyez apparaître sur votre "mur" une série de billets postés par vos "amis" ou "followees". Quels sont ces billets? Correspondent-ils à tous les billets que vos ami·es ont postés, dans un ordre chronologique? Ou pensez-vous au contraire que, parmi les innombrables billets postés par vos ami·es, le réseau social a sélectionné certains, guidé par exemple par le souhait de maximiser les chances que vous cliquiez sur un lien vous invitant à effectuer un achat? Si vous avez choisi la première réponse, vous souffrez d'un niveau "de conscience des algorithmes" (algorithm awareness) très faible alors que si vous avez choisi la seconde, il est plus élevé. Une enquête récente menée sur un échantillon d'internautes  norvègiens montre que 40% des gens rapportent n'avoir aucune conscience de l'influence de l'existence des algorithmes sur les publicités et informations qu'ils reçoivent sur internet. Sans surprise, le niveau de "conscience des algorithmes" est étroitement lié à l'âge. Plus on est âgé, plus il est bas. A l'autre extrême, les adolescents sont moins conscients des algorithmes que les jeunes adultes mais largement plus que les personnes âgées (31% d'absence totale de conscience entre 15 et 19 ans vs. 61% chez les 60+ et 74% chez les 70+). 

Ces derniers mois, une des questions qui revenait le plus fréquemment parmi les sollicitations des médias était la suivante: comment discuter avec un ami ou un membre de sa famille qui vous fait part de son enthousiasme pour une théorie du complot? On sait que le complotisme est fortement diffusé par les réseaux sociaux en ligne.  Peut-être la méconnaissance des algorithmes joue-t-elle un rôle dans ce phénomène? Si un usager voit défiler des messages complotistes sur son profit Facebook, il susceptible de considèrer ces informations comme représentatives des opinions de ses "amis" (et donc des personnes en qui il a le plus confiance). Il serait alors bienvenu d'éduquer cette personne en lui montrant que chaque fois qu'il ou elle clique sur une vidéo complotiste, de nouvelles vont apparaître (ceci est par exemple suggéré ici mais je n'ai pas de données quant à son efficacité). 

Dans le domaine du complotisme, on a pu constater que ces discours bénéficiaient plus des algorithmes que la version "officielle". C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la vaccination. Par exemple, les librairies en ligne Amazon ou FNAC donnent en priorité des contenus "anti-vax" lorsqu'on recherche le termes vaccination. Le même reproche a été fait au moteur de recherche de Google, même si cela semble avoir été résorbé depuis. Ceci s'explique sans doute par le fait que les informations anti-vax suscitent beaucoup plus d'intérêt et d'engagement de la part des utilisateurs que les discours scientifiques. 

Les algorithmes sont souvent rendus responsables de la prolifération d'infox ("fake news") sur internet. En effet, si les contenus informationnels qui nous sont proposés sont déterminés non pas leur qualité mais par leur propension à susciter des clics et des revenus publicitaires, ceux-ci peuvent contribuer à façonner des représentations totalement faussées de la réalité. 

Les informations auxquelles nous sommes confrontés dans notre environnement social sont nécessairement limitées. Elles ne peuvent nullement être représentatives de l'ensemble des informations disponibles sur un sujet donné. Par exemple, en tant qu'universitaire bruxellois, je suis confronté quasi-exclusivement à des personnes qui lisent sans problème ou qui ont accès à l'eau courante. Quand je lis que le taux d'analphabétisme en Belgique est de 10% ou que de nombreux Bruxellois n'ont pas aisément accès à l'eau courante, je suis fort surpris. Je peux toutefois assez aisément expliquer cela par mon milieu social relativement privilégié. En fait, je peux assez facilement "décoder" le mécanisme par lequel j'en viens à sous-estimer ces phénomènes. 

La difficulté, évidemment, avec les algorithmes, c'est qu'ils sont totalement obscurs. Quand bien même on serait vaguement conscient de l'existence de ces algorithmes, on ne sait pas comment est produite l'information qui nous est transmise. 

Si l'on a bien raison de s'inquiéter des algorithmes, et de leur obscurité, il importe de souligner que leur effet reflète une réalité bien plus fondamentale, ce qu'on appelle la "myopie métacognitive". De quoi s'agit-il? Nous sommes beaucoup plus préoccupés par la façon dont nous utilisons les informations dont nous disposons pour prendre des décisions ou faire des jugements que par l'origine de ces informations. 

Prenons le cas d'un comité de sélection: ses membres seront souvent très sensibles à faire en sorte que les décisions qu'ils opèrent sur base des candidatures soient aussi équilibrées et justes que possible. En revanche, ils seront sans doute moins sensibles à l'origine de ces informations. Par exemple, au fait que l'information sur laquelle ils se basent a fait l'objet d'une synthèse par l'un des rapporteurs et que celui-ci peut avoir filtré certaines informations présentent dans le dossier de candidature. Ou le fait que les lettres de recommandation, ne soient pas représentative de l'ensemble des avis des personnes qui connaissent le candidat. Ou encore du fait que les notes obtenues lors du parcours scolaire ou universitaire des candidats dépendent du niveau de difficulté de celui-ci. Tous ces éléments sont susceptibles de biaiser la décision finale même si celle-ci est prise sur une base parfaitement rationnelle à partir des informations disponibles. 

Un collègue que j'admire beaucoup, Klaus Fiedler, a montré combien cette myopie métacognitive pouvait influencer toute une série de jugements. Les informations dont on dispose pour prendre une décision dépendent non seulement de notre exposition à ces informations mais de la mémoire que l'on a conservé de celles-ci. Et bien sûr, aussi bien l'exposition que la mémoire sont sélectives. Dans le domaine de l'exposition, je vois par exemple très rarement des personnes qui ont des difficultés d'accès à l'eau courante. Dans le domaine de la mémoire,  on se souvient (par exemple) plus aisément d'événements surprenants et ceux-ci sont plus à même de colorer notre jugement que des événements habituels mais moins frappants. Exposition et mémoire contraignent donc les informations sur base desquelles nous pouvons prendre des décisions ou effectuer des jugements. 

Pour prendre un exemple d'actualité, les cas de personnes vaccinées anti-Covid qui ont ensuite des problèmes de santé (fussent-ils sans rapport avec la vaccination) seront beaucoup plus médiatisés, et attireront beaucoup plus l'attention, que les cas dans lesquels tout se passe bien. 

Dans un autre registre, nous avons pu montrer que lorsqu'on est exposé à des informations que l'on sait fausses à propos d'un criminel potentiel (on informe le sujet que le témoin en question ment), celles-ci colorent malgré tout notre jugement ultérieur du prévenu. C'est même vrai chez des juges professionnels. Pourquoi? Parce qu'au moment de juger de sa culpabilité, ou de la peine qu'il faudrait lui infliger, nous ne prenons pas suffisamment en compte le fait que parmi les nombreuses informations que nous avons reçues, certaines étaient fausses. En d'autres termes, nous utilisons les informations que nous avons en mémoire mais en négligeant leur origine, somme amenés à juger le prévenu de façon injuste. Même quand on sait que des "fake news" sont fausses, elles peuvent donc influencer nos jugements ultérieurs. 

Cette myopie méta-cognitive nous rend donc particulièrement vulnérables aux algorithmes: même si on sait qu'ils existent (ce qui, comme nous l'avons vu, n'est pas le cas de tout le monde), on ignore commet ils façonnent notre "écoystème informationnel" et, plutôt que de se demander d'où viennent les informations auxquelles nous sommes exposés, nous nous demandons comment les utiliser pour prendre des bonnes décisions ou former des opinions valides (dans le meilleur des cas). Malgré toute notre bonne volonté, ces décisions seront inévitablement biaisées par le caractère éminemment sélectif des informations que Google, Facebook ou autres auront bien voulu nous donner. 



lundi 7 décembre 2020