mercredi 29 février 2012

La moralité chez les carnivores

Extrait de "Tintin en Amérique"


Est-il moralement acceptable de manger des animaux? Certains auteurs, tels Michael Pollan ou Jonathan Safran Foer, ont récemment développé des essais fort stimulants à ce sujet. Et, effectivement, lorsqu'on y réfléchit quelque peu, il y a plein de raisons de s'abstenir de manger de la viande au-delà du plaisir que cela nous procure:

- L'élevage d'animaux contribue à différents problèmes environnementaux (dont le changement climatique) et sanitaires (résistance des bactéries aux antibiotiques, épidémies, etc.).
- L'élevage monopolise des surfaces qui pourraient être utilisée de façon plus rentable pour l'alimentation (culture) ou l'environnement (forêt).
- Les animaux d'élevage ont un esprit, souffrent et vivent dans des conditions souvent peu réjouissantes.  Ils sont souvent malades, malheureux,... 
- etc.

jeudi 23 février 2012

Le mythe du brainstorming


source: Flickr



“So loud each tongue, so empty was each head, 

So much they talked, so very little said.”


Charles Churchill (1767)


Le vocable de "brainstorming" est un des seuls termes du jargon psychosocial qui soit suffisamment rentré dans l'usage pour être repris au Larousse. Voici la définition que ce dictionnaire propose
"Technique de recherche d'idées originales, surtout utilisée dans la publicité et fondée sur la communication réciproque dans un groupe des associations libres de chacun de ses membres."
Outre les associations libre, la technique (développée par Osborne, un publicitaire, dans les années 50)  repose sur l'absence totale de critique: chaque idée doit être accueillie positivement. Cette technique est rentrée dans l'usage de nombreuses organisations de façon quasiment aussi naturelle que les réseaux informatiques ou les distributeurs de café. 


lundi 20 février 2012

Est-il irrationnel de croire aux théories du complot?


Source: The Guardian

   Peu après l'annonce du décès d'Oussama Ben Laden par un commando de l'armée américaine à Abbotabad (Pakistan), deux types de théories ont rapidement fleuri. L'une affirme que Ben Laden était déjà mort au moment de cette intervention (il serait décédé en 2000, voire avant). Une autre affirme qu'il est toujours vivant (détenu par la CIA, ou encore en liberté,...). Ces théories sont alimentées par le comportement de l'administration Obama (qui affirme avoir jeté le corps en mer et a refusé de diffuser des photos de celui-ci).
   
       L'émergence de "théories du complot" (en l'occurrence organisée par le gouvernement américain) suite à des événements publics est un phénomène bien connu. Une théorie du complot attribue à des individus ou une organisation un plan d'action concerté visant à accomplir un objectif (généralement funeste). Si elles sont souvent fantaisistes, certaines théories du complot s'avèrent authentiques (pensons au scandale du Watergate, par exemple).

jeudi 16 février 2012

Di Rupo est-il vraiment plus populaire qu'il y a 3 mois? Un petit cours d'inférence statistique appliqué aux sondages d'opinion

Tous les 3 mois, le quotidien belge La Libre publie un sondage évaluant les préférences politiques des Belges. Ce mardi, un des pans de ce sondage était consacré à la popularité de figures politiques diverses dans les trois régions du pays. L'enseignement du sondage, tel que le titre la Une est "Di Rupo superstar".

Sur quoi repose cette conclusion? On soumettait une liste à des "sondés" provenant de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles. "Pour chacune des personnalités suivantes, voulez-vous dire si vous souhaitez lui voir jouer un rôle important dans les prochains mois?". Chaque figure est ainsi dotée d'un "score" qu'on peut comparer à celui obtenu lors du sondage précédent. Et en effet, Di Rupo a gagné 2 points à Bruxelles et en Flandre et 7 points en Wallonie.

Les journalistes de La Libre ne se privent pas de commenter ces écarts.

Considérons par exemple le cas de Bruxelles:

"(...) les Bruxellois gardent une sympathie certaine pour Elio Di Rupo qui gagne 2% par rapport à notre consultation de Novembre (...) Immédiatement après le "numero uno" socialiste mais à quand même 21% de lui, Charles Picqué, tout en perdant 1%, consolide sa position. La troisième marche du podium voit le retour en force de Guy Verhofstadt". 

Il est piquant de constater que le "retour en force" (sic) de ce dernier correspond à une hausse de 1% (de 22 à 23%) alors que la perte équivalente du précédent (Picqué) est qualifiée de "consolidation". Ce type de description émaille l'ensemble du rapport sur les trois régions (chacun concernant une vingtaine d'hommes et de femmes politiques). A la lecture de ces commentaires, il me semble utile de me muer en prof de stats. Car, que sont ces chiffres? Ils proviennent d'un échantillon de 900 personnes. 23% d'entre elles, soit  207 ont répondu qu'elles aimeraient voir Guy Verhofstadt jouer un rôle important. En novembre, sur un autre échantillon de la même taille,  seuls 198 (22%) avaient formulé cette réponse. L'avance de 1% correspond donc à cette différence de 9 personnes. Peut-on pour autant affirmer que cet écart correspond à la différence observée dans l'ensemble de la population bruxelloise? Que le nombre de sympathisants de Verhofstadt s'est donc enrichi de +/- 10000 nouveaux individus?

vendredi 10 février 2012

Comment le bon Samaritain a occis Aristote



Source: Flickr

Parmi les expériences de psychologie sociale, celle qui est rapportée par John Darley et Daniel Batson dans un article intitulé "De Jerusalem à Jericho" (1973) est sans doute une des plus stimulantes. Tout d'abord, par son inspiration: la parabole du bon Samaritain provenant de l'évangile de Luc:

"Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho et il tomba au milieu de brigands qui, après l'avoir dépouillé et roué de coups, s'en allèrent, le laissant à demi mort. Un prêtre vint à descendre par ce chemin-là ; il le vit et passa outre. Pareillement un lévite, survenant en ce lieu, le vit et passa outre. Mais un samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le vit et fut pris de pitié. Il s'approcha, banda ses plaies, y versant de l'huile et du vin, puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l'hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l'hôtelier, en disant : "Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai, moi, à mon retour." Lequel de ces trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands ?" Il dit : "Celui-là qui a exercé la miséricorde envers lui." Et Jésus lui dit : "Va, et toi aussi, fais de même". 

mercredi 8 février 2012

L'engagement politique est-il héréditaire?



Herman & Alexander De Croo

Source: Le Vif

Quel est le point commun entre la politique belge et la NASCAR, le championnat de course automobile américain? Un petit indice: la Belgique se distingue par le nombre de figures politiques de premier plan qui sont elles-mêmes les rejetons d'anciens ministres. Citons pêle-mêle Bruno Tobback, président du parti socialiste flamand et fils de Louis, Melchior Wathelet, fils de l'ancien ministre du même nom (et prénom) et actuel secrétaire d'état, Charles Michel, président des libéraux francophones, et fils de Louis, Benoît Lutgen, président du parti centriste et fils de Guy, Alexander De Croo, fils d'Herman, Freya Van Den Bossche, ministre et fille de Luc, etc. Il en va de même pour les pilotes de la Nascar, qui sont souvent les enfants d'autres pilotes. 

Les écononomistes Laband et Lentz  suggèrent que trois types d'explications peuvent rendre compte de ce type de transmission:    

- Transmission d'un capital humain: Les parents transmettent à leur enfants des compétences leur permettant d'exceller dans ce domaine ou des motivations qui les poussent à s'y investir. Ils leur transmettent également un capital plus "tangible" à travers des réseaux, des contacts, sur lesquels ils pourront s'appuyer. 
- Loyauté à l'image de marque: La renommée des parents aide les enfants à se faire accepter. Ils sont bien vus (et bénéficient par exemple de davantage de voix) parce qu'ils ont le même nom. 
- Népotisme: Les parents parviennent à "placer" leurs enfants en profitant de leur pouvoir. 

En ce qui concerne la politique, Laband et Lentz constatent que la transmission intergénérationnelle est extrêmement répandue dans la classe politique américaine. On en trouve davantage que chez les fermiers et chez les propriétaires fonciers, dans les deux cas pour des raisons évidentes de transmission d'un capital physique (le terrain, la ferme, les bâtiments, etc). Selon Laband et Lentz, le fait que les enfants poursuivent dans les pas de leur père (sic) s'expliquent en grande partie par le second facteur: ils bénéficient d'une fidélité de la part des électeurs. 

(pour les passionnés de course automobile, il semblerait que dans la Nascar, ce soit un phénomène similaire qui se produise: les enfants bénéficient de l'image de marque de leurs parents et peuvent donc plus facilement attirer des sponsors). 

Des travaux plus récents d'Hilde Van Liefferinge de l'université de Gand corroborent ces analyses dans un contexte belge. Elle a examiné le profil des candidats flamands aux élections de fédérales belges de 2003 art 2007 sur base d'un questionnaire. Elle constate que la majorité de ceux-ci proviennent de familles dans lequel le père était lui-même membre d'un parti politique (dans 41% des observations, c'est la cas de la mère). Par ailleurs, dans 18,5%des cas, celui-ci occupait une fonction politique (2,7% pour les mères). C'est évidemment énorme par rapport à l'ensemble de la population.

Elle constate par ailleurs que le fait que les parents ait eu un engagement politique exerce deux types d'influence:

- D'une part, il influence l'activisme politique des enfants avant qu'ils se soient confrontés aux scrutins, à travers par exemple une implication dans leur parti ou l'appartenance à dans des mouvements de jeunesse liés au parti. 
- D'autre part, il influence la carrière de ces candidats, qui sont plus rapidement élus et opèrent une ascension plus rapide. Cette influence passe en partie par l'activisme précédemment mentionné mais pas uniquement. Toutefois, on ne peut établir s'il s'agit de népotisme, de loyauté au "nom", de transmission du réseau ou d'une combinaison de ces deux facteurs.  

En revanche, une fois ces facteurs pris en compte, d'autres éléments de "socialisation" familiale, comme le fait de discuter de politique à la maison ou l'engagement des parents dans des associations socioculturelles expliquent peu ou pas leur degré d'activisme et le développement de leur carrière. Ceci va à l'encontre d'une explication  de l'influence de la carrière politique des parents sur celles des enfants par une transmission des valeurs au sein du foyer. 

Si on trouve ici une explication au succès des enfants une fois engagés en politique, ces études nous renseignent peu sur les causes de l'émergence de leur vocation. Ceci nous amène à nous pencher plus précisément sur la question de l'engagement politique en tant que réalité psychologique c'est-à-dire comme une forme d'attachement à un parti ou à un idéal politique. Cet engagement peut s'aborder en terme d'intensité (être fort ou peu engagé) et en terme d'objet (pour quel parti ou quelle cause s'engage-t-on?). Comment expliquer les grandes variations d'engagement politique entre les individus? 

Dans le domaine de la psychologie politique, la question des déterminants psychologiques de l'engagement politique est une de celle qui a fait couler le plus d'encre. Les individus restent relativement fidèles tout au long de leur vie à leurs engagements politique et, très souvent, cet engagement correspond à celui de leur parents: si papa se sent une fibre de révolutionnaire guévariste, fiston a beaucoup de chance d'hériter de celle-ci. Ceci a conduit de nombreux auteurs à envisager cet engagement comme étant le produit d'une socialisation précoce (en partie familiale mais pas uniquement). A l'appui de cette idée, Jennings, Stoker et Bowers ont constaté une consonance importante entre les attitudes politiques des parents et des enfants dans une large étude longitudinale effectuée aux Etats-Unis. A l'appui d'une hypothèse d' "apprentissage social", ils constatent que la consonance est d'autant plus importante que la famille est fort politisée: comme on y discute davantage de politique, l'influence des parents peut davantage se faire sentir (comme je l'ai signalé, ce type d'influence ne semble pas rendre compte de l'activisme politique des enfants des candidats étudiés par Van Lieferinghe - cette influence était peut-être neutralisée par la présence d'autres variables, comme la carrière politique des parents).

Toutefois, faut-il nécessairement expliquer la consonance entre parents et enfants par des facteurs de socialisation? Certains auteurs ont osé se demander si des facteurs génétiques ne pourraient pas également être à l'oeuvre dans cet engagement. Certaines personnes sont-elles prédisposées génétiquement à s'engager? 

Cette idée semble quelque peu saugrenue: après tout, rien ne semble plus "environnemental" ou "culturel" que la politique. Comment l'engagement politique pourrait-il être héréditaire? Rien n'est plus intellectuellement stimulant que d'aller à contre-courant des idées reçues. Examinons donc avec un regard critique ce que nous dit la littérature psychologique sur la question: 

Dans un article récent, Wendy Johnson, Eric Turkheimer, Irving Gottesman et Thomas Bouchard (tous trois parmi les chercheurs les plus réputés dans le domaine de la génétique du comportement) défendent la validité de cette idée: 

"Il y a beaucoup de raisons qui poussent les gens à voter ou non, mais certaines sont susceptibles d'être liées à des traits de personnalité, comme le sens du dévouement à autrui (dutifulness), des attitudes, comme la croyance en la démocratie, et à des circonstances environnementales comme l'accès à l'information et la possibilité d'accéder à des bureaux de votes. Ces caractéristiques sont toutes transmises génétiquement aussi bien qu' à travers la culture et l'environnement familial (shared environmental influence) mais la façon dont cette transmission s'opère n'est pas claire." (p. 219). 
Même si je ne vois pas bien comment la possibilité d'accéder à des bureaux de vote ou la croyance en la démocratie pourraient être déterminées génétiquement, l'argument est simple: les choix électoraux dépendent en partie de caractéristiques (psychologiques) stables dont on à de bonnes raisons de croire qu'elles sont déterminées génétiquement. Alors pourquoi pas l'engagement politique?



Les frères Lech and Jaroslaw Kaczinski, deux jumeaux monozygotes ayant atteint le faîte de la carrière politique en Pologne

Une étude de Jaime Settle, Christopher Dawes et James Fowler (2009) a cherché à répondre à cette question en interrogeant 353 paires de jumeaux en 2006 et 2007 lors d'une fête annuelle destinée au jumeaux (ça s'appelle le Twin Days Festival). Pourquoi s'intéresser à des jumeaux? Le raisonnement est simple: on examine si les "vrais" jumeaux (monozygotes = MZ) se ressemblent plus et si  oui, dans quelle mesure, que les "faux" jumeaux (Dizygotes=DZ). Si c'est le cas, on en infère qu'un facteur génétique est à l'oeuvre. En effet, comme les MZ ont deux fois plus de matériel génétique en commun que les DZ, observer des similarités plus fortes entre les premiers que les seconds devrait s'expliquer par des caractéristiques génétiques. Ici, on suppose par ailleurs que, du point de vue de leurs environnements respectifs, les MZ et les DZ ne sont pas plus différents entre eux les uns que les autres. Après tout, comme deux MZ, deux DZ partagent le même foyer, souvent la même école, etc. 

Mais qu'ont infligé Sette et ses collègues à ces joyeux jumeaux? Plusieurs questionnaires dont les psychologues ont le secret, pardi! Le premier d'entre eux évaluait leur "identification partisane" de la façon suivante:

"Généralement, vous définissez-vous comme Républicain, Démocrate, ou quoi d'autre?" Les Sujets devaient choisir une catégorie parmi 7: 

- Fortement Démocrate (-3)
- Démocrate (-2)
- Indépendant, mais plus proche des Démocrates (-1)
- Indépendant (0)
- Indépendant, mais plus proche des Républicains (1)
- Républicains (2)
- Fortement Républicain (3)"

Les auteurs ont modifié les scores de l'échelle de façon à ce que les scores négatifs deviennent positifs. -3 devient 3, -2 devient 2, -1 devient 1. Ceci donne lieu à une échelle mesurant ce qu'ils appellent la force d'identification à un parti, indépendamment de l'identité de ce parti. Donc, quelqu'un qui a répondu "fortement démocrate" ou "fortement républicain" est considéré comme fort identifié, quelle que soit la direction de son identification. 

Remarquons que cette mesure est fort crue. Elle ne mesure pas l'engagement politique tout court - car un indépendant - qui aurait 0 - peut être fort engagé. Elle mesure l'engagement en faveur d'un parti - républicain ou démocrate. Il faut donc interpréter cette mesure comme une mesure d'engagement partisan et non politique. 

J'espère que vous me suivez...

Settle et ses collaborateurs calculent alors le lien entre ces deux scores au sein des paires de jumeaux MZ et DZ pris séparément. Ce lien peut se mesurer grâce à ce qu'on appelle un coefficient de corrélation qui varie entre -1 et 1. Un coefficient positif indiquerait que plus un jumeau s'implique dans un parti, plus l'autre s'implique dans un parti, un coefficient négatif que plus un jumeau s'implique dans un parti, moins l'autre s'implique.   Qu'observent-ils? La corrélation entre les MZ est de l'ordre de .46 alors que la corrélation entre les DZ est de l'ordre de .16. Ceci signifie qu'on peut beaucoup mieux prédire l'engagement pour un parti (quel qu'il soit) d'un jumeau MZ lorsqu'on connaît le niveau d'engagement de l'autre, qu'on ne peut faire une prédiction similaire sur un DZ. Si je sais si un DZ s'engage politiquement, je peux difficilement prédire si son frère (ou sa soeur) en fait autant. Une telle configuration est cohérente avec une interrpétation héréditariste: il faudrait supposer que les gènes que partagent (davantage) les MZ expliquent la plus grande convergence de leurs niveaux d'engagement politique. Plus précisément, nous disent les auteurs:
"Une inteprétation simple des données suggère que les gènes expliquent à peu près 58% de la variance dans l'engagement en faveur d'un parti (p. 605)"
Donc,...si les différences entre individus qui expliquent les variations que peu prendre l'engagement politique dans l'échantillon formaient un gâteau, plus de la moitié de ce gâteau serait constitué de gènes. 

Etonnant...Examinons à présent si cette conclusion tient aussi si, au lieu de transformer l'échelle à 7 niveaux, on la laisse telle quelle. De cette façon, l'échelle, au lieu de mesurer le degré d'engagement, nous indique la direction de l'engagement, à savoir plutôt conservateur (de droite) ou progressiste (de gauche). Et là, on constate que cela ne change rien: les MZ ne se ressemblent pas plus que les DZ. 

Donc, c'est l'intensité de leur engagement et non sa direction qui aurait une composante génétique. Le fait que certains votent pour le parti X et d'autres pour le parti Y ne s'expliquerait pas par des facteurs génétiques. En revanche, le fait que certains soutiennent ardemment un parti - quel qu'il soit, par exemple, en militant ou en allant voter (lorsque le vote est facultatif) alors que d'autres s'en moquent éperdument et votent en tirant à pile ou face (ou en jouant au vogelpik pour les Bruxellois), s'expliquerait par des facteurs génétiques.

Cette conclusion est étayée dans une autre étude (Fowler, Baker & Dawes, 2008) portant, cette fois sur la participation aux élections (qui est facultative aux Etats-Unis). Les auteurs de cette étude  se sont basés sur les registres électoraux du comté de Los Angeles, qu'ils ont croisés avec un répertoire des jumeaux, pour identifier les "histoires électorales" de jumeaux MZ et DZ. Ceci leur permettait d'examiner la concordance entre les jumeaux d'une même paire sur 8 élections: est-ce qu'ils faisaient tous les deux la même chose (soit voter,  soit ne pas voter) ou est-ce qu'ils se distinguaient? A nouveau, on constate une bien plus grande concordance chez les MZ que chez les DZ. Selon les auteurs, dans cette population, 52% des variations dans le fait de choisir de voter ou non peuvent s'expliquer par des facteurs génétiques! Les auteurs ont également pris des précautions pour examiner si les environnements dans lesquels vivaient les MZ étaient plus similaires que pour les DZ et rejettent cette hypothèse. 

Cette composante nous prédisposerait par exemple à nous affilier à un groupe, sans nécessairement préciser de quel groupe il s'agit. Settle et al. spéculent sur les origines évolutives de ces prédispositions génétiques:

"Nous pouvons imaginer par exemple que l'attachement à un groupe, comme l'engagement en faveur d'un parti politique ou une religion, comporte une composante héritable (héréditaire) importante, peut-être en raison de sa relation avec des processus fondamentaux dans la préhistoire. Par example, nous pouvons imaginer que la force de l'appartenance et du lien avec un groupe constituaient des facteurs plus cruciaux lorsque la survie dépendait de la coopération au seon du groupe. Des modèles évolutionnistes montrent que certains énvironnements favorisent la particiation du groupe dans la production des biens communs alors que d'autres favorisent l'autonomie en raison de la compétition entre ceux qui contribuent et les "profiteurs" (...) Ces modèles prédisent une hétérogénéité dans les stratégies adoptées, certains se liant à des groupes et d'autres cherchant à survivre par eux-mêmes. Il est possible que cette hétérogénéité s'étendent à plusieurs types de groupes, y compris les organisations religieuses et les partis politiques." (p. 608)
En d'autres termes, notre engagement politique serait en partie le reflet d'une tendance innée à nous affilier (ou non) à des groupes. Cette tendance résulterait du succès de nos ancêtres dans des sociétés préhistoriques qui pouvaient soit valoriser la compétition (et donc décourager l'appartenance à des collectivités) soit la coopération (qui encourage de telles appartenances).  L'interprétation, comme souvent lorsqu'on imagine des récits préhistoriques, est intrigante mais difficilement testable...

Il importe à cet égard de préciser qu'il n'est nullement question d'un (voire de quelques) gène(s) bien spécifiques qui causeraient de façon univoque le comportement (comme pour  des maladies monogéniques telles que la mucovicidose, par exemple). Selon Johnson et al. (2009), une influence génétique sur un comportement signifie que les caractéristiques génétiques nous prédisposent à effectuer une série de choix comportementaux individuels. Ces choix ont des effets sur des circonstances ultérieures qui, à leur tour, influencent des options de choix eux-mêmes influencés génétiquement, etc. Ceci se traduit par une relation entre l'environnement et les caractéristiques génétiques (par exemple, en admettant que l'extraversion ait une base génététique, on peut imaginer que les extravertis choisissent plus volontiers la compagnie de groupes, et sont donc davantage influencés par ceux-ci). Dans cet esprit, un avocat du diable adepte de la génétique du comportement pourrait réinterpréter les résultats de Goodwin de la façon suivante:

- Dans les familles possédant des caractéristiques génétiques prédisposant à la politisation, les parents ont davantage tendance à évoquer leurs attitudes politiques et les enfants à chercher à évoquer des sujets politiques. Dans cette perspective, la politisation n'est pas un facteur d'environnement qui préexiste à l'attitude des enfants, mais elle est encouragée par l'attitude des enfants qui recherchent et renforcent l'environnement familial de façon à ce qu'il soit davantage politisé et donc, que leur attitudes (influencées en partie par des caractéristiques génétiques) puissent s'y déployer. 

Ceci est bien beau mais esquive la question fondamentale sans doute: peut-on vraiment opérer le raisonnement selon lequel:

Si la corrélation entre MZ est significativement plus forte que la corrélation entre les DZ

 alors

Les variations d'engagement politique entre les individus s'expliquent par des différences d'ordre génétique (du moins en partie). 

Réponses:

Soyons tout d'abord très prudents...Les jumeaux qu'ont étudiés nos deux chercheurs proviennent d'une population relativement homogène. Or, on sait que ces études de jumeaux sont très sensibles à l'hétérogénité de l'échantillon vu qu'elles cherchent précisément à expliquer les variations entre paires de jumeaux. Si, les jumeaux sont exposés à des facteurs environnementaux assez similaires, la part des variations génétiques dans l'explication des variations dans leur scores sera proportionnellement plus importante. Par exemple, chez un échantillon représentatif de personnes résidant en Belgique toute l'année,  et donc nécessairement exposées à peu près tous au même degré  d'ensoleillement, les variations dans la teinte de la peau s'expliquent proportionnellement davantage par des facteurs génétiques que chez un échantillon représentatif de personnes résidant en France, vu que celles-ci sont exposés à des degrés d'ensoleillement fort différents selon qu'ils vivent à Tourcoing ou à Sète. 

Second problème, on pourrait supposer que, si les MZ se ressemblent plus que les DZ, c'est aussi parce que leurs environnements sont similaires. On tend souvent à traiter deux enfants MZ de façon plus similaire que deux enfants DZ, par exemple. On peut aussi imaginer que les MZ ayant des interactions plus fréquentes, ayant plus tendance à partager des mêmes activités (pour des raisons en partie environnementales) sont peut-être plus amenés à discuter de leurs orientations politiques et donc à être également engagés (même s'ils ne sont pas nécessairement d'accord). C'est naturellement un argument qui a souvent été opposé à ce type d'approche. 

Les défenseurs de la méthode des jumeaux opposent les arguments suivants: 

- Cette critique d'absence d'équivalence des environnements ne devrait pas tenir lorsque les jumeaux vivent séparément. Or, certaines études tendant à suggérer que les jumeaux séparés se ressemblent autant que ceux qui vivent ensemble
- Elle ne devrait pas tenir non plus lorsque les jumeaux DZ se croient MZ (ou l'inverse). Or dans ce cas, la plus grande similarité des MZ persiste
- On peut aussi retourner l'argument en suggérant que les similarités entre les MZ sont une cause plutôt qu'une conséquence de leurs contacts plus fréquents. C'est donc parce qu'ils se ressemblent qu'ils sont davantage en contact, et discutent davantage de leurs attitudes et non l'inverse. 

Il importe de souligner que les études sur lesquels ces contre-arguments se fondent concernent d'autres variables que l'engagement partisan et il n'est donc pas évident qu'elles s'y appliquent. Par ailleurs, ces arguments ont eux-mêmes été remis en cause par des critiques de ce type d'approche (voir par exemple Beckwith & Morris, 2008). Le débat est sans fin...

Et même si on les accepte, il n'en reste pas moins qu'entre l'identification de deux corrélations différentes et l'identification du processus par lequel les facteurs génétiques pourraient influencer l'engagement politique, il reste un gouffre à franchir...

Le plus grand défi consistera à articuler le rôle des facteurs génétiques et environnementaux plutôt que de chercher sans cesse à les opposer. C'est dans cet esprit que concluent des partisans d'une approche "environnementaliste" (l'apprentissage social) comme Jennings et ses collègues:
"Bien que des réserves aient pu être émises sur les approches génétiques (...), on ne peut pas ignorer ces résultats. Au vu de ce défi, tester des hypothèses provenant de la théorie de l'apprentissage social - comme nous l'avons fait - paraît de plus en plus important. Nos résultats en ce sens sont clairement compatibles avec une explication "sociale" (i.e., plutôt que génétique). Il  imcombera à des travaux ultérieurs de concilier et peut-être d'intégrer ces résultats" (p. 796, ma traduction)
Coda: Une conclusion tentante à la lecture de ce billet serait d'affirmer que la surreprésentation des enfants de responsables politiques parmi les actuels décideurs s'explique en grande partie par des facteurs génétiques.  Ce serait une conclusion infondée: en effet, les travaux sur les "jumeaux" portent sur l'engagement politique et non sur l'accès à des postes à responsabilité. Et les travaux d'Hilde Van Liefferinghe montrent que l'influence de l'insertion des parents dans le monde politique sur l'obtention de poste à responsabilité chez les enfants n'est pas uniquement expliqué par des facteurs d'engagement. D'autres facteurs tels que l'image de marque associée au nom, le népotisme, l'accès au carnet d'adresse de papa (de maman) ou la transmission d'un "know how" sont susceptibles d'intervenir également.