dimanche 7 février 2021

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 23): Quelques réflexions sur "Ceci n'est pas un complot"

Quelques réflexions sur le documentaire "Ceci n'est pas un complot", qui vient de sortir (je vais étoffer petit à petit). A ne lire que si vous l'avez vu ou qu'on vous l'a envoyé. Ceci est un fil que j'ai posté sur twitter et que je reprends ici (en gardant la forme numérotée) afin qu'il soit partageable ailleurs. Un premier jet que j'espère développer...

1. On est tout d'abord frappé par la différence avec Hold-Up. Pas d'effets musicaux ni de plans aériens. Non, ici, on va assister à la pandémie du point de vue du réalisateur, "citoyen lambda" qui regarde la télévision
2. Même si ça n'en fait certainement pas un documentaire complotiste, on retrouve là une figure commune du complotisme: le citoyen qui réfléchit "par lui-même" et ne se laisse pas berner par les médias. Voir à cet égard cet excellent texte de Pascal Wagner. 
3. Autre élément remarquable: les extraits sont peu situés temporellement. On ne sait pas quand les gens parlent. Par exemple, on voit le Professeur Laterre (apparemment en été) dans une USI vide...mais celle-ci sera pleine comme un oeuf lors de la seconde vague 
4. On constate aussi que le réalisateur cherche à se distinguer des "complotistes" prenant comme exemple des cas relativement extrêmes (type Qanon) et opposant sa rationalité à l'irrationalité de ces individus. 
5. Le téléspectateur peut donc être rassuré quant au fait que s'il adhère aux idées du documentaire, soit il n'est pas complotiste, soit on peut considérer qu'il est un complotiste qui s'assume: il n'est qu'un citoyen engagé cherchant à identifier les rouages du système.
6. Comme de coutume, le documentaire accuse Bill Gates d'avoir instrumentalisé la pandémie (sans que l'auteur ne rende compte explicitement de ses motivation). Et comme Gates l'a fait ouvertement, ce n'est pas un secret, et donc pas un complot (d'où le titre)
7. Intéressant que les traitements alternatifs (HCQ, artemisia...) soient évoqués mais, plutôt que de montrer combien ils ont été discrédités, on insiste sur le fait qu'il n'y ait pas eu de débat en Belgique (-> on a voulu "étouffer" cela).
8. Contrairement à Hold-up, l'auteur interroge certaines personnes qu'on ne peut guère soupçonner de complotisme (Marius Gilbert, Jean-Pierre Jacqmin, Yves Van Laethem...) Toutefois, il semble qu'on ne retient de leurs paroles que ce qui peut alimenter l'a thèse du film: le confinement est une décision politique injustifiée et restreignant de façon abusive les libertés fondamentales sans bénéfice réel et avec des coûts considérables
9. Ceci s'expliquerait d'une part par l'intérêt que verraient les médias à alimenter la peur et par les intérêts financiers des firmes pharmaceutiques via la vente de vaccins (qui financeraient les experts et influenceraient les politiques via des bureaux de consultance). La campagne de vaccination nécessiterait en effet le consentement de la population (d'où le rôle des medias). 
9. Bien que de nombreux intervenants soient interrogés, on remarquera que la thèse du film n'est jamais soumise à un regard critique. 
10. Par exemple, peut-on imaginer que les politiques soient exclusivement influencés par les intérêts des Pharma alors que d'autres secteurs, tout aussi puissants (commerce, Horeca) sont durement touchés? Sans parler des coûts énormes pour les finances publiques?
11. Le film fait beaucoup d'insinuations mais n'articule jamais exactement la nature du complot. C'est ce qui fait sa force. Il s'agit de nourrir le doute et chacun peut faire fonctionner son imagination pour construire le scénario le plus plausible, "relier les points"
12. Comme dans les images de notre enfance où il y avait des points numérotés et que la figure émergeait naturellement.
13. Le film utilise des métaphores guerrières et se termine par "il va falloir la reconquérir, la liberté". On peut y lire un appel à la violence déguisé (même si ce n'est pas l'intention de l'auteur). Dangereux donc. 
14. Un passage assez marquant montre Marc Van Ranst expliquer sa stratégie médiatique. Ce passage est assez intéressant et je m'y arrête un peu. 
15. Le fait qu'il rende compte des financements dont il dispose de l'industrie pharmaceutique est vu comme une démonstration que sa stratégie médiatique vise à "faire peur à la population" pour engraisser les Big Pharma
16. On n'envisage pas une autre possibilité: 1/ Van Ranst fait preuve de transparence en mentionnant ses possibles conflits d'intérêts et 2/ si une stratégie médiatique est nécessaire, c'est parce qu'il est intimement convaincu du danger que font peser les pandémies
17. Ceci illustre combien le raisonnement est biaisé: tous les faits sont interprétés à l'aune du complot ou de la corruption sans considérer d'autres interprétations possibles
18. Du coup, même si on n'en connaît pas exactement les contours, la conclusion, qui est en fait le préalable de toute l'analyse et a guidé la présentation des faits, est inévitable. 
19. Intéressant aussi que la conférence en question a été prononcée à Chattam House, présentée comme un "think tank" très influent. Ceci peut aisément titiller l'imaginaire complotiste  (groupe de Bilderberg etc.)
20. En outre, comme les Big Pharma sont des sociétés multinationales, faire une conférence en anglais, dans ce parterre d' "élites" fait aisément penser à une démarche conspirationniste. 
21. A contraster avec les petites associations qui ont pignon sur rue, comme "Initiative citoyenne"(une association anti-vaccination), dont l'une des fondatrices est interrogée. 
22. Le documentaire joue donc sur l'opposition classique dans le discours complotiste entre le "simple citoyen" et les "élites". 
23. Autre exemple de "mauvaise foi": comme "hold-up", le documentaire condamne le confinement sans examiner de façon critique les pays, comme la Suède, où l'expérience a été tentée (et abandonnée, tant elle est désastreuse).

24. Il y a apparemment plusieurs erreurs...mais une qui relève de mon domaine (la psycho). Au début du documentaire, on postule l'influence de messages subliminaux communiqués par les médias

25. L'idée que des stimuli puissent influencer le comportement sans avoir été perçus onsciemment ne dispose d'aucune base empirique solide. On en parle un peu dans cet article.

26. Malgré les critiques ci-dessus, je pense que le documentaire pose quelques questions pertinentes. Par exemple, j'avais aussi exprimé mes craintes quant à la symbiose entre peur et médiatisation: http://nous-et-les-autres.blogspot.com/2020/03/psychologie-sociale-du-coronavirus.html…

27. ...ou la présence de consultants privés dans les réunions du GEES. 

28. Je vais maintenant examiner s'il s'agit d'un documentaire compotiste

29. Quelles sont les caractéristiques du complotisme? Prenons Moscovici (reprenant Taguieff), qui cite 3 caractéristiques. 

30. 1. Rien n'arrive par accident. Tout est le résultat d'intentions occultes

31. Le documentaire regorge d'exemples de ce type. Les experts payés en sous-main, le fait que la presse change son discours à l'approche du CNS, etc. 

32. 2. Rien n'est tel qu'il paraît être. Les apparences sont trompeuses.

33. Ici, également, le documentaire cherche à dévoiler ce qui se cache derrière les apparences. Des gens qui se présentent comme bien intentionnés cherchent en fait à instrumentaliser votre peur pour des raisons vénales. 

34. 3. Tout es lié mais de façon occulte. Et si tout est lié, on peut donc expliquer jusqu'au moindre événement à partir d'une cause unique

35. Ici, comme je l'ai dit la nature même du complot n'est pas clairement expliquée mais il semble qu'une cause unique ("nous vendre des vaccins et se remplir les poches") qui explique de nombreux événements mentionnés dans le doc y ressemble beaucoup.

36. Remarquons que le fait que le documentaire soit complotiste n'implique pas qu'il n'y ait pas complot. Ce sont deux questions différentes 

37. Voici l'article de Moscovici:  en anglais et dans sa version originale française dactylographiée.

38. Dans le discours complotiste, ces caractéristiques sont posées à priori et orientent toute l’interprétation

39. Ce qui les différencie d’une enquête judiciaire ou journalistique qui dévoilerait un véritable complot en ayant examiné plusieurs interprétations possibles

40. Parmi les éléments découverts depuis, la référence à une figure d'extrême-droite, comme Simone Gold, médecin américain, qui a participé à l'attaque du Capitole. Voir ce billet de Daniel Tanuro. 

41. De même, les manifestions anti-lockdown en Allemagne sont présentées favorablement en oubliant de mentionner qu'elles ont été organisées par des mouvements d'extrême-droite 

42. Thibault de Bueger, étudiant à l’UCLouvain m'a envoyé une première tentative de vérification du documentaire. Merci à lui! 

43. Ici, un autre remarquable travail de vérification de "Ceci n'est pas un complot" par le médecin généraliste "Manu Ber »: Merci pour cette contribution d'utilité publique.  


A suivre (sur twitter et peut-être ici...)