samedi 7 mars 2020

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 5): Peur, angoisse, panique ou psychose?


Eduard Munch (1893): le Cri

En cette période de coronamanie, j'ai été plus sollicité par les médias que d'habitude. La question qui m'est le plus souvent posée consiste à savoir s'il y a une "peur"/ "psychose"/ "angoisse"/ "panique" collective à propos du coronavirus (ces termes étant utilisés de façon plus ou moins interchangeable). Le vocabulaire psychiatrique est souvent utilisé à tort et à travers pour décrire des phénomènes psychosociaux qui n'ont souvent que peu de rapport avec ce qu'ils désignent (voir à cet égard cet excellent article du Monde). Je me suis donc dit qu'il serait utile de définir ce qu'on entend par là.


Premièrement, le terme "psychose" n'a pas sa place dans cette liste : la psychose se réfère à des troubles psychopathologiques individuels caractérisés par une altération profonde du rapport à la réalité, comme des hallucinations par exemple. La schizophrénie, le délire paranoïaque rentrent dans cette catégorie. On n'est clairement pas dans cette réalité-là.

De même, le terme d'hystérie, parfois utilisé pour se référer aux réactions par rapport à l'affreux COVID-19, n'a aujourd'hui plus d'usage dans les classifications psychiatriques (il s'agit d'une forme de névrose, réputée pour toucher les femmes bourgeoises au XIXème et au début du XXème siècle, et dont les conflits intérieurs se traduiraient par des manifestations physiques - paralysie, cécité - sans lésion ou pathologie physique détectable).

La peur désigne une émotion associée à un danger précis et clairement identifiable. C'est une réponse à une menace immédiate, qui va se traduire par une augmentation du rythme cardiaque, de la tension musculaire, etc. C'est une émotion qui facilite des réponses comportementales : la fuite ou la lutte avec la source de la peur, réponses qui seront facilitées par les changements psychologiques précités. En l'occurrence, il me semble qu'on ne peut pas parler de peur pour un danger qui reste relativement abstrait pour la plupart d'entre nous et qui ne correspond pas à une menace immédiate et tangible.

L'angoisse ou l'anxiété correspond quant à elle à une émotion associée à un danger perçu comme inévitable ou incontrôlable mais qui n'est pas immédiat, contrairement à la peur. Elle se traduit par une tension musculaire, de l'agitation, des ruminations mentales. L'anxiété accroît la vigilance par rapport à la menace supposée. En l'occurrence, si une émotion décrit le rapport le plus commun au coronavirus, c'est peut-être plus l'anxiété que la peur. Toutefois, l'anxiété peut également mener à voir des menaces là où il n'y en n'a pas (faux positif). Elle peut parfois être plus nuisible pour l'individu que le danger dont il ou elle souhaite se prémunir (comme lorsque, par exemple, l'angoisse par rapport à un examen nous fait perdre nos moyens lors de l'épreuve).

Le discours sur le COVID-19 alterne entre un catastrophisme absolu et une minimisation de la menace ("il y a peu de gens touchés", "il y a d'autres problèmes bien plus importants", "le taux de mortalité est faible"). Selon ce dernier discours, l'angoisse est purement destructrice et détourne notre attention de problèmes potentiellement bien plus importants que le coronavirus. A rebours, une chercheuse dans notre labo et infirmière dans une autre vie, me signalait qu'il ne fallait pas sous-estimer l'utilité de cette émotion dans une période d'incertitude comme celle-ci. Après tout, c'est elle qui nous pousse à prendre certaines précautions indispensables (comme nous laver régulièrement les mains) pour préserver les plus  vulnérables d'entre nous.

La panique est une sensation de peur soudaine, cette émotion prenant le pas sur un raisonnement réfléchi et donnant lieu souvent à un comportement de fuite ou d'évitement. Il me semble qu'en l'occurrence, et pour la plupart des gens, on ne peut pas parler d'une peur "soudaine": l'arrivée du coronavirus en Europe était anticipée depuis plus d'un mois. Que les réponses par rapport à celui-ci ne soient pas nécessairement rationnelles ne signifie pas qu'il s'agisse de panique. Mais on ne peut bien sûr pas exclure qu'une information à venir, à propos du coronavirus, ne suscite un tel sentiment.

On a donc d'un côté des psychopathologies (hystérie, psychose) et de l'autre des réactions émotionellees (peur, panique, angoisse) normales. Ces dernières peuvent toutefois être associées à des psychopathologies (trouble anxieux, trouble panique par exemple) lorsqu'elles deviennent régulières ou chroniques. Alors que ces émotions ont pour fonction de réguler efficacement le rapport entre l'individu et son environnement, elles peuvent submerger l'individu régulièrement ou constamment sans commune mesure avec les menaces extérieures qui pèsent sur elle ou lui.

Quant au mot "collectif", que faut-il entendre par là? Lorsqu'on pense à "collectif", on évoque souvent le fait que plusieurs individus ressentent en même temps la même émotion. Il y a donc panique "collective" dès qu'un groupe d'individus ressentent la même émotion de concert, par rapport à la même cause (imaginons par exemple une foule rassemblée dans une salle de concert se rue vers la sortie à l'odeur de fumée). Cela se remarquera par un comportement commun. Mais, à l'échelle d'un pays, le fait que certaines personnes manifestent des réactions de panique par rapport au même phénomène ne signifie en rien que ce comportement est partagé par l'ensemble de la population. En l'occurrence, il est possible que certaines informations aient suscité simultanément une "panique" chez certains individus mais on ne peut pas qualifier cela d'une panique généralisée à l'ensemble de la population.

Par ailleurs, lorsqu'on utilise le mot "collectif", en psychologie sociale, on fait souvent référence à un comportement organisé collectivement, caractérisé par une coordination entre ses membres (comme un mouvement social, une manifestation...). Lorsque les médias évoquent une "panique collective" ou une "peur" collective, ils semblent plutôt faire référence à un ensemble de comportements individuels et non coordonnés (par exemple une bousculade, une ruée sur une promotion dans un magasin...ou sur des masques dans des pharmacies). Il est très important de distinguer ces deux sens du mot "collectif". En l'occurrence, une émotion comme l'angoisse peut aussi s'exprimer à travers des mouvements collectifs qui cherchent à donner une réponse sociale ou politique, plutôt qu'individuelle, à la source de l'angoisse (c'est le cas des jeunes engagés pour le climat). Le principal enjeu dans ce type de situation est bien de parvenir à catalyser des émotions individuelles non coordonnées pour leur donner une forme qui permette de faire face ensemble au danger.

PS: Merci à Sylvain Delouvée pour m'avoir fait découvrir l'article du Monde cité ci-dessus.

Episode 1: Le coronavirus est un terreau fertile pour les théories du complot
Episode 2: La symbiose des médias et des angoisses collectives
Episode 3: Le raz de marée et la lame de fond.
Episode 4: Virus, paravent de nos angoisses


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Psycomm
Sachant qu'on ne peut pas parler d'angoisse collective, comment peut-on nommer, la ruée massive vers les magasins suit à l'annonce du confinement?

Anonyme a dit…

suite*

H. Antonio Matos Rosal a dit…

Si nous ne pouvons pas utiliser ces types de termes pour l'instant. Selon vous, combien de personnes peuvent entrer dans ces termes à la fin de la coronamanie?

Covid-19 ces sera-t-il d'être une maladie infectieuse émergente et deviendra-t-il un problème mental ? ou appartient déjà ?