mercredi 27 janvier 2021

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 22): Rock et peurs collectives

J’ai récemment été sollicité à participer à l'émission Les Temps Chantent (RTBF radio) pour parler de ce qu’une chanson célèbre des Rolling Stones, "Gimme Shelter" (1969), pouvait inspirer au psychologue social que j'étais. Sacré défi car mon univers musical est infiniment plus proche de Béla Bartók ou de Miles Davis que de Keith Richards ou Mick Jagger. J'ai donc cherché à me cultiver sur le sujet. Cette chanson nous parle de la guerre du Vietnam et des angoisses collectives qu’elle suscitait. Gimme Shelter, c’est « donne-moi un refuge ! ». Où trouvons-nous refuge pour faire face aux profondes inquiétudes qui touchent l’ensemble de la société aujourd’hui ? Dans le film « Take Shelter » de Jeff Nichols, le héros consacre sa vie à construire un abri anti-atomique dans son jardin, terrorisé par la perspective d’une attaque nucléaire. Mais personne ne comprend sa peur et ses proches finissent petit à petit par l'abandonner. Ce cas est intéressant car le personnage cherche à se protéger dans son abri en béton plutôt qu'auprès ses proches qui, eux, ne peuvent rien face à une éventuelle attaque nucléaire.

Pourtant face à l’anxiété, la première réaction est de se tourner vers les autres. Une illustration très parlante de ce phénomène est une étude menée aux Etats-Unis en 1959 par Stanley Schachter. Dans celle-ci, on annonçait à un groupe de jeunes femmes que, dans le cadre de l’expérience, elles subiraient des chocs électriques qui, bien qu’inoffensifs, seraient douloureux. Appelons ce groupe « forte anxiété ». A un autre groupe, on annonçait que les chocs électriques seraient légers et indolores. Appelons ce groupe « faible anxiété ». On signalait toutefois que le laboratoire où se déroulerait l’expérience n’était pas encore libre. En attendant, les jeunes femmes devraient attendre dans une autre salle. On leur donnait le choix entre deux d'entre elles : l’une où elles seraient seules et l’autre où elles seraient en compagnie d’autres participants. On constate que dans la condition de forte anxiété, les jeunes femmes sont beaucoup plus nombreuses à vouloir passer l’expérience en compagnie d’autrui. Mais pourquoi donc ? Espèrent-elles diminuer leur anxiété ? Pas du tout ! Attendre avec les autres ne remplit pas du tout cette fonction. Souhaitent-elles passer un « bon moment » avant de souffrir ? Non, aucune de ces explications ne tient. D’ailleurs, si elles ont l’occasion de passer du temps avec d’autres jeunes femmes qui, elles, ne participent pas à l’expérience, elles ne manifestent pas un désir plus grand d'être en leur compagnie que de rester seules. L’explication semble être tout autre : pour répondre à l’angoisse, nous cherchons à nous faire une idée du sort qui nous attend. Autrement dit, pour faire face au sentiment d’incertitude qui nous accable, nous comptons sur les autres. A travers autrui, nous saurons s’il est légitime ou non d’être angoissé. L’autre nous aide à cerner cette réalité incertaine…Forte de cette hypothèse, une étude ultérieure a montré que lorsque la douleur des chocs était présentée comme incertaine, les jeunes femmes souhaitaient davantage la compagnie d’autrui que lorsque la douleur était inéluctable. C’est donc bien l’incertitude qui nourrit le besoin de la compagnie d’autrui.

 

Face à des angoisses collectives, nous procédons de la même façon. Nous cherchons généralement la compagnie d’autrui. Si l’on est vraiment inquiet par la perspective d’une guerre nucléaire, on cherchera avant tout à se mobiliser pour comprendre et appréhender cette menace, évaluer son importance et y faire face collectivement. Aujourd’hui, avec le coronavirus, les gens cherchent également à analyser le danger à travers ce même processus de comparaison sociale. A travers les autres, nous choisirons des grilles de lecture de la réalité qui nous permettront de faire sens de la situation et de répondre à notre angoisse. Le succès des théories conspirationnistes sur la COVID-19 peut à cet égard se comprendre. D'une part,  celles-ci donnent une explication simple à la pandémie et aux mesures qui nous accablent. D'autre part, elles nous rassurent (la Covid n’est pas plus grave qu’une petite grippe). Enfin,  elles sont portées par des communautés, qui jouent un peu le même rôle que les jeunes femmes dans la salle d’attente de l’étude de Stanley Schachter. Ces groupes nous donnent également un sentiment de pouvoir faire face à la menace, de résister ici à l’oppresseur. Les autres sont donc notre refuge. Naturellement, une peur collective n’implique pas nécessairement d’adhérer à des croyances conspirationnistes. En témoignent la solidarité et la discipline dont ont fait preuve certaines communautés, notamment en Asie mais aussi en Europe, pour répondre à la Covid, en se basant sur les connaissances bien établies à ce sujet.

 

Certaines théories en psychologie poussent le raisonnement plus loin. La théorie de la gestion de la peur  propose ainsi que les êtres humains se distinguent des autres animaux par le fait qu’ils ont conscience de leur propre mortalité. Ils mettraient dès lors en place des mécanismes permettant de répondre à l’anxiété que génère ce sentiment. Les auteurs de cette théorie mettent en évidence trois mécanismes en particulier : 


Premièrement, la culture, qui nous donne accès à des représentations nous permettant de transcender notre mortalité, par exemple la croyance en l’au-delà. En second lieu, l’estime de soi, car celle-ci nous indique en fait dans quelle mesure nous nous conformons aux normes culturelles (et donc contribuons en quelque sorte à notre immortalité). Et troisièment, les relations avec autrui, qui, comme dans l’expérience de Schachter, nous permettent de valider notre vision du monde et notre soi. Une des hypothèses découlant de ces travaux est la suivante : lorsque la peur de la mort est particulièrement présente à l’esprit, comme c’est souvent le cas aujourd’hui avec la pandémie, les gens ont davantage tendance à se raccrocher à des croyances culturellement partagées. Pour mettre ces idées à l’épreuve, les auteurs de cette théories ont mené de nombreuses études, qui se sont généralement avérées concluantes. Dans une de celles-ci, assez amusante, des chercheurs ont recruté des étudiants dont ils connaissaient les orientations politiques. Ils ont introduit une manipulation subtile, qui consistait à demander à la moitié de leurs sujets d’envisager comment ils voyaient leur décès (je sais ce n’est pas très joyeux) et aux autres d’envisager une visite chez le dentiste (ce n’est pas drôle non plus, mais normalement on n’en meurt pas). Suite à cette manipulation, les sujets étaient confrontés à un comparse qui exprimait des attitudes politiques. Ils avaient ensuite l’opportunité d’agresser ce participant…en lui faisant déguster une sauce piquante et particulièrement violente pour le palais (pour des raisons éthiques, difficile de donner un gant de boxe aux sujets). Les sujets qui avaient dû penser à leur propre mortalité agressaient davantage une personne exprimant des attitudes contraire aux leurs que ceux qui avaient dû penser à une visite chez le dentiste. Lorsque la faucheuse pointe le bout de son nez, on aurait donc besoin de se raccrocher à ses certitudes en agressant ceux qui les menacent. En toute franchise, je dois dire que ces travaux sont controversés et que tout le monde n’a pas réussi à reproduire ces résultats. Mais c’est souvent comme cela que la science fonctionne….

 

Quoi qu’il en soit, le refuge face à l’angoisse et à la terreur, ce n’est pas un abri nucléaire ou un terrier, mais les autres. Ce sont eux qui nous permettent de mieux appréhender le monde qui nous entoure et parfois, de nous donner l’illusion que la menace n’en n’est pas une.


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Merci à Patrick Rateau pour ses suggestions à ce sujet et à Cécile Poss pour l'invitation à parler de cette chanson sur les ondes...


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Episodes précédents: 


samedi 16 janvier 2021

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 21): Que sait-on de ceux qui hésitent à se faire vacciner?

(ceci est le texte d'une intervention faite lors du "Grand Tour de la Médecine" le 16 janvier 2021)


Durant ces quinze minutes, je vais évoquer la question de l’hésitation vaccinale, en adoptant une perspective psychosociale – ma discipline. Mon exposé prendra la forme d’une série de questions. 

Qu’est-ce que l’hésitation vaccinale ? 


Selon l’OMS, l’hésitation vaccinale fait référence aux retards dans le recours à la vaccination ou au refus de se faire vacciner en dépit de la disponibilité de services de vaccination. Selon cette définition, il s’agit d’un comportement et non d’une attitude. Ce comportement peut s’expliquer par une méfiance vis-à-vis des vaccins mais pas nécessairement. Le groupe d’experts SAGE de l’OMS suggère qu’il y a trois grandes catégories de facteurs qui expliquent ce comportement. On distingue la confiance (ou le maque), mais également la complaisance (complacency) et le confort (convenience). On parle des 3C. 


Pour se faire vacciner, il faut en effet avoir confiance mais il faut aussi se « bouger les fesses » si vous me permettez l’expression et avoir le sentiment qu’il est relativement aisé de se faire vacciner. Bref, l’hésitation vaccinale n’est pas à confondre avec l’anti-vaccinalisme, ou l’opposition aux vaccins. Celle-ci s’intègre dans un mouvement social, que je ne peux pas traiter ici, par manque de temps. 


Il en résulte également que l’on peut regrouper les hésitants en différentes catégories selon leurs attitudes vis-à-vis de la vaccination : certains sont très favorables sur le principe mais pas suffisamment motivés, d’autres ont des doutes sur l’un ou l’autre vaccin mais sont en revanche prêts à s’en faire administrer d’autres. Enfin, une même personne peut être hésitante à un moment et pas à l’autre. On voit par exemple dans notre baromètre sur la vaccination que les intentions vaccinales par rapport au Covid19 évoluent très rapidement en fonction du temps. L’hésitation vaccinale n’est donc pas une propriété des individus mais dépend de l’interaction entre le contexte et l’individu. 


Qui sont les hésitants vaccinaux? 


D’un point de vue socio-démographique, on constate plusieurs éléments (Kessels, Luyten, & Tubeux, 2020) :

  • Un effet de genre (les femmes sont en moyenne moins susceptibles de se faire vacciner)
  • Les 25/34 ans tendent à être les plus hésitants. Ce sont les plus âgés qui le sont le moins. 
  • Le niveau d’éducation ne joue pas un rôle clair. Alors que certaines études montrent que plus on est diplômé, plus on est favorable à la vaccination, d’autres indiquent une hésitation plus marquées chez certaines catégories diplômées. C’est notamment le cas pour le vaccin HPV.  
  • En termes de profession, c’est dans les catégories intermédiaires que l’on retrouve le plus d’hésitants vaccinaux: professions paramédicales, enseignants du primaire, secondaire, travailleurs sociaux etc. (Peretti-Watel et al., 2014). 

Ayant brossé ce rapide portrait, envisageons les déterminants de l’hésitation vaccinale. 


L’hésitation vaccinale est-elle due à un manque d’informations ? 


Lorsqu’on analyse des sondages sur l’hésitation vaccinale, on constate que la raison la plus communément citée par les hésitants est la crainte d’effets indésirables. Par exemple, certains hésitants pensent que le vaccin Pfizer va modifier notre ADN. Ceci peut être attribué à un déficit d’information, ou à de mauvaises informations. Et de nombreuses informations fausses circulent sur la vaccination et l’immunité. Par exemple, certains sont convaincus qu’il suffit de prendre de la vitamine D pour « booster » son immunité et échapper à une infection à la Covid-19. C’est le cas de l’ex-député européen Ecolo Paul Lannoye. 


Partant de ce constat, beaucoup de médecins ou de professionnels de la santé pensent que ces gens sont juste mal ou insuffisamment informés. C’est certes un élément important mais on constate que ce ne sont pas nécessairement les moins informés ou les moins diplômés qui sont les plus résistants aux vaccins, comme l’illustre d’ailleurs le cas de Paul Lannoye. Par ailleurs, on a des raisons de croire que les justifications mentionnées dans les enquêtes sont souvent des rationalisations par rapport à des ressentis ou des émotions plus profonde liées à la démarche de se faire injecter une substance qui n’a pas fait ses preuves dans le corps. 


L’hésitation vaccinale est-elle due à des déficits de raisonnement ? 


Deuxième facteur qu’on invoque: les biais cognitifs. Parmi ceux-ci, on cite souvent une difficulté à appréhender le risque (voir ce billet-ci à ce sujet). Par exemple, pour argumenter sa méfiance, on citera des cas extrêmement rares d’enfants qui ont reçu un diagnostic d’autisme peu après avoir reçu le vaccin Rougeole-Rubéole-Oreillons. Ce vaccin est administré dans la tranche d’âge où les premiers symptômes de troubles autistiques sont susceptibles de se manifesters, ce qui mène, par  simple coïncidence statistique, à une corrélation entre vaccination et diagnostic d’autisme. Mais on a souvent de la peine à se départir de l’impression que si deux événements se suivent, l’un n’a pas causé l’autre. 


Autre biais : la façon dont les décisions sont prises par les patients. Le vaccin implique de faire une action pour ne pas être malade, tout en risquant de l’être (à cause des effets secondaires). De nombreux  travaux (Reyna, 2012) montrent que les décisions en termes de santé sont souvent basées sur des raisonnement très simples. Globalement, les gens font des choix basés sur une opposition binaire : entre « se sentir bien » et « ne pas se sentir bien ». Prendre le vaccin alors qu’on se sent bien est contraire à cette heuristique : si on se sent déjà bien, il faut faire une action qui peut mener à ne pas se sentir bien. Les discours antivax se marient évidemment beaucoup mieux avec ce type d’heuristique que le discours médical traditionnel. 


Ce type de biais cognitifs intervient également. Mais c’est une lecture qui me semble insuffisante car elle tend à limiter l’analyse à des facteurs individuels : en effet, selon cette vision des choses, il suffirait d’informer les gens correctement ou de les aider à réfléchir « rationnellement » pour transformer les hésitants en convaincus. C’est certes utile mais ça ne suffit pas. Il manque une pierre à l’édifice. 


L’hésitation vaccinale est-elle un phénomène collectif ? 


S’il est une réalité qui est bien démontrée en psychologie sociale, c’est que les individus n’élaborent pas leurs convictions sur base simplement d’un traitement individuel de l’information. L’adhésion ou non à une attitude ou à un comportement dépend de l’ancrage dans des collectivités (Spears, 2020). Par exemple, des expériences célèbres montrent que même notre perception visuelle, la façon dont on identifie des couleurs ou dont on évalue la longueur d’un objet, peut être influencée par le fait que les membres d’un groupe auquel on s’identifie, perçoivent ces stimuli comme tels. 


S’il en est ainsi pour la perception, c’est encore plus le cas en ce qui concerne les attitudes et les comportements. Ma propre disposition à me faire vacciner dépend en premier lieu de la disposition à le faire de la ou des communautés que je fréquente et auxquelles je m’identifie. 


Et précisément, les attitudes vaccinales s’inscrivent dans des communautés d’appartenance. Par exemple, des études menées en Australie (Attwell, Smith, & Ward, 2018) montrent que pour les parents hésitants vaccinaux, il y a une vraie opposition entre deux groupes : l’endogroupe - « nous, qui sommes attachés à la nature » et les « autres malsains », qui adhèrent sans trop réfléchir aux pratiques toxiques d’une société de consommation industrielle. La perception du vaccin vient se greffer sur cette vision du monde. On voit dans celui-ci une réponse technologique qui rompt l’équilibre avec la nature. Un discours scientifique « traditionnel » ne peut pas aisément s’intégrer avec cette vision du monde. Le greffon ne prendrait pas si vous me permettez l’analogie. Mais plus fondamentalement, cette opposition nature / société industrielle structure l’identité de ces parents, leur mode de vie, leurs choix pédagogiques, leurs interactions avec leur communauté et tous les bénéfices secondaires qu’elle leur apporte.   L’appartenance à une collectivité est, comme on le sait, un des meilleurs garants de la santé mentale.  




A la lumière de cette analyse, lorsque les autorités sanitaires, le Lancet ou un médecin généraliste nous communiquent des informations sur la vaccination, l’adhésion à ce message dépend de l’identification à la communauté que lui ou elle représente. Est-ce que ce gouvernement se soucie de mes intérêts ? Est-ce que je m’identifie à la science comme source d’une vision du monde ? Pour être efficace, l’information doit provenir d’une source à laquelle on s’identifie. 

  

Or, c'est dans des situations d’incertitude, d’anxiété, que l’on va être particulièrement désireux d’adhérer à l’avis de notre communauté sur la source de cette anxiété (Echterhoff, Higgins, & Levine, 2009). Clairement, la pandémie, source d’incertitude évidente, est propice à susciter ces comportements visant à se raccrocher à sa communauté, ou à une communauté modèle, et à y chercher des informations. Inversement, lorsqu’on s’identifie déjà à une ou des communautés, il y a une propension forte à adhérer à son discours afin de ne pas en être exclu.  


Dans ce contexte, la prolifération de sites et de communautés discutant de la vaccination sur internet, permet à tous ces hésitants vaccinaux de s’affilier à des groupes et de récolter des informations qui se conforment à leurs croyances. Elle permet aussi de les échanger entre leurs membres, ce qui est souvent une source de valorisation mutuelle. Les communautés qui portent des discours antivax sont du reste beaucoup plus motivées et actives dans la diffusion d’informations que les autorités ou personnes favorables à la vaccination. Pour ces dernières, son utilité est une évidence qui n’a pas grandement besoin d’être démontrée. Par ailleurs, les experts comme les médecins ont beaucoup d’autres chats à fouetter que de communiquer sur internet à propos de la vaccination ! Cela crée ce qu’on appelle une asymétrie informationnelle, susceptible d’influencer tout particulièrement les gens qui sont à la marge et n’ont pas d’opinion claire sur la question. 


Quel rôle pour les médecins par rapport à l’hésitation vaccinale ? 


Cette analyse implique également d’intégrer les acteurs auxquels les gens ont confiance – et je pense tout particulièrement aux médecins généralistes, qui viennent en tête. Des enquêtes ont montré par exemple que, toutes choses égales par ailleurs, les gens étaient beaucoup plus disposés à se faire vacciner si leur médecin le leur recommandait (Brien, Kong & Buckeridge, 2009). Ceci montre que l’hésitation vaccinale ne reflète pas nécessairement une hostilité idéologique au savoir scientifique ou à la science. 


Lors d’une émission récente à la RTBF (« A Votre Avis » le 9/12/2021), Philippe De Vos de l’Absym (syndicats médicaux) soulignait l’importance de consulter son médecin généraliste – dans l’espoir qu’il ou elle ramène les hésitants à la raison. Le journaliste interroge alors une dame qui est en duplex : 


  • Journaliste : Qu’est-ce que vous allez faire ?
  • Téléspectatrice : Je ne me ferai pas vacciner`
  • J : Si votre médecin de famille vous dit « c’est bon pour vous », est-ce que vous changez d’avis ?
  • T : Il m’a dit de ne pas me faire vacciner

On voit donc ici que la confiance au médecin n’est pas nécessairement antithétique avec l’hésitation vaccinale. Le médecin lui-même peut être porteur d’hésitations (on voit d’ailleurs dans plusieurs sondages que l’hésitation vaccinale est présente chez un certain nombre d’entre eux). 


A cet égard, le discours complotiste qui accompagne les antivax recourt souvent à une opposition entre l’ « expert » / le scientifique de laboratoire ou l’épidémiologue et le « médecin de terrain », proche de ses patients qui, lui, aurait accès à la vérité. Les complotistes revendiquent ici une adhésion à la science mais dépouillée de son caractère institutionnel, désincarné, loin des « gens ». 


Qu’exprime l’hésitation vaccinale? 


Si l’hésitation vaccinale se définit comme un comportement, on peut souvent y voir l’expression d’un positionnement, d’une attitude, par rapport à un objet. Avoir une attitude par rapport à quelque chose ne reflète pas uniquement les informations dont on dispose à ce propos. Elle sert aussi à manifester la façon dont on se situe dans l’espace social lié à cet objet. C’est ce qu’on appelle la fonction « expressive » des attitudes. Il en va de même en ce qui concerne l’hésitation vaccinale. On a pu ainsi montrer que celle-ci  était fortement liée à un trait de personnalité, la tendance à la réactance (Hornsey et al., 2018). Il s’agit précisément du fait d’exprimer sa liberté par rapport à une injonction qui nous est faite (en la refusant, comme dans la bande-dessinée ci-dessous). Je vous donne deux exemples de cette dimension expressive :


  • Le mouvement anti-vaccin a été souvent porté par des femmes (Salvadori et Vignaud, 2019).   Pourquoi ? Parce qu’il s’agissait de vacciner des enfants – c’est-à-dire le domaine des femmes, jusqu’il y a peu. Et parce que les injonctions à la vaccination, jusqu’à très récemment, proviennent d’hommes – médecins, experts, politiques – dans une société profondément patriarcale. Je fais l’hypothèse que ce mouvement exprime en partie un opposition à cet ordre patriarcal, plus qu’une forme d’irrationalité ou un manque de connaissances scientifiques. 
  • Deuxième exemple. En France, on constate que, parmi les professionnels de la santé, l’anti-vaccinalisme est particulièrement représenté dans les professions intermédiaires : infirmières, sage-femmes, etc, plus que chez les médecins (Thomire & Raude, 2020). En revanche, ces travailleurs – souvent des travailleuses – adhèrent davantage aux médecines douces et recommandent volontiers ce type de traitement à leur patients. Pourquoi ? D’après certains de  mes collègues, elles se sentent souvent dépossédées de toute autorité par rapport aux médecins. Proposer ce type de traitement, c’est une façon de se ménager un espace de compétences, qui seront valorisées si les conseils prodigués donnent des résultats positifs. Mais naturellement, l’adhésion aux médecines douces s’accompagne très souvent d’une grande méfiance par rapport aux vaccins.


Conclusions


Que conclure de tout ceci ? Pour lutter contre l’hésitation vaccinale, il ne faut pas diaboliser les « hésitants » en les considérant comme des antivaccins, des imbéciles ou encore des irresponsables. Stigmatiser les hésitants, c’est la meilleure façon de les envoyer dans les bras des mouvements antivaccins (voir ce billet-ci). Au contraire, en les informant sans jugement via des canaux auxquels ils peuvent s’identifier (comme leur médecin généraliste, leur pharmacien de quartier, tel ou tel épidémiologue médiatisé qui sera davantage susceptible de les toucher), on peut espérer convaincre. Et de même, en faisant le pari du consentement plutôt que de l’obligation, on peut mener les individus à s’approprier véritablement le choix de la vaccination, à ne pas le faire par obligation mais par conviction. 


C'est là, globalement, la politique qui a été poursuivie en Belgique. D’après les résultats de notre baromètre, qui montre une augmentation des intentions de vaccination, il semble que cette stratégie s'avère payante. 





PS: Merci à Vincent Yzerbyt et Anne-Laure Rousseau pour leurs commentaires sur une version antérieure de ce texte. 


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Episodes précédents: 




Références :


Attwell, K., Smith, D. T., & Ward, P. R. (2018). ‘The Unhealthy Other’: How vaccine rejecting parents construct the vaccinating mainstream. Vaccine36(12), 1621-1626.

Bronner, G. (2013). La démocratie des crédules. Presses universitaires de France.

Brien S, Kwong JC, Buckeridge DL. The determinants of 2009 pandemic A/H1N1 influenza vaccination: A systematic review. Vaccine. 2012;30(7):1255-1264. 

Echterhoff, G., Higgins, E. T., & Levine, J. M. (2009). Shared reality: Experiencing commonality with others' inner states about the world. Perspectives on Psychological Science4(5), 496-521.

Hornsey, M. J., Harris, E. A., & Fielding, K. S. (2018). The psychological roots of anti-vaccination attitudes: A 24-nation investigation. Health Psychology37(4), 307.

Kim, M.-S., & Hunter, J. E. (1993). Attitude–behavior relations : A meta-analysis of attitudinal relevance and topic. Journal of Communication43(1), 101‑142. 

Kessels, R., Luyten, J. & Tubeuf, S. (2020). Willingness to get vaccinated against Covid-19: profiles and attitudes towards vaccination. Discussion paper. 2020/35. 

Peretti-Watel, P., Raude, J., Sagaon-Teyssier, L., Constant, A., Verger, P., & Beck, F. (2014). Attitudes toward vaccination and the H1N1 vaccine: poor people's unfounded fears or legitimate concerns of the elite?. Social Science & Medicine109, 10-18.

Reyna, V. F. (2012). Risk perception and communication in vaccination decisions: A fuzzy-trace theory approach. Vaccine30(25), 3790-3797.

Smith, N., & Graham, T. (2019). Mapping the anti-vaccination movement on Facebook. Information, Communication & Society22(9), 1310‑1327. 

Thomire, A., & Raude, J. (2020). The role of alternative and complementary medical practices in vaccine hesitancy among nurses: A cross-sectional survey in Brittany. Médecine et Maladies Infectieuses.

Ward, J. K. (2016). Rethinking the antivaccine movement concept: a case study of public criticism of the swine flu vaccine’s safety in France. Social Science & Medicine159, 48-57.