mercredi 27 janvier 2021

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 22): Rock et peurs collectives

J’ai récemment été sollicité à participer à l'émission Les Temps Chantent (RTBF radio) pour parler de ce qu’une chanson célèbre des Rolling Stones, "Gimme Shelter" (1969), pouvait inspirer au psychologue social que j'étais. Sacré défi car mon univers musical est infiniment plus proche de Béla Bartók ou de Miles Davis que de Keith Richards ou Mick Jagger. J'ai donc cherché à me cultiver sur le sujet. Cette chanson nous parle de la guerre du Vietnam et des angoisses collectives qu’elle suscitait. Gimme Shelter, c’est « donne-moi un refuge ! ». Où trouvons-nous refuge pour faire face aux profondes inquiétudes qui touchent l’ensemble de la société aujourd’hui ? Dans le film « Take Shelter » de Jeff Nichols, le héros consacre sa vie à construire un abri anti-atomique dans son jardin, terrorisé par la perspective d’une attaque nucléaire. Mais personne ne comprend sa peur et ses proches finissent petit à petit par l'abandonner. Ce cas est intéressant car le personnage cherche à se protéger dans son abri en béton plutôt qu'auprès ses proches qui, eux, ne peuvent rien face à une éventuelle attaque nucléaire.

Pourtant face à l’anxiété, la première réaction est de se tourner vers les autres. Une illustration très parlante de ce phénomène est une étude menée aux Etats-Unis en 1959 par Stanley Schachter. Dans celle-ci, on annonçait à un groupe de jeunes femmes que, dans le cadre de l’expérience, elles subiraient des chocs électriques qui, bien qu’inoffensifs, seraient douloureux. Appelons ce groupe « forte anxiété ». A un autre groupe, on annonçait que les chocs électriques seraient légers et indolores. Appelons ce groupe « faible anxiété ». On signalait toutefois que le laboratoire où se déroulerait l’expérience n’était pas encore libre. En attendant, les jeunes femmes devraient attendre dans une autre salle. On leur donnait le choix entre deux d'entre elles : l’une où elles seraient seules et l’autre où elles seraient en compagnie d’autres participants. On constate que dans la condition de forte anxiété, les jeunes femmes sont beaucoup plus nombreuses à vouloir passer l’expérience en compagnie d’autrui. Mais pourquoi donc ? Espèrent-elles diminuer leur anxiété ? Pas du tout ! Attendre avec les autres ne remplit pas du tout cette fonction. Souhaitent-elles passer un « bon moment » avant de souffrir ? Non, aucune de ces explications ne tient. D’ailleurs, si elles ont l’occasion de passer du temps avec d’autres jeunes femmes qui, elles, ne participent pas à l’expérience, elles ne manifestent pas un désir plus grand d'être en leur compagnie que de rester seules. L’explication semble être tout autre : pour répondre à l’angoisse, nous cherchons à nous faire une idée du sort qui nous attend. Autrement dit, pour faire face au sentiment d’incertitude qui nous accable, nous comptons sur les autres. A travers autrui, nous saurons s’il est légitime ou non d’être angoissé. L’autre nous aide à cerner cette réalité incertaine…Forte de cette hypothèse, une étude ultérieure a montré que lorsque la douleur des chocs était présentée comme incertaine, les jeunes femmes souhaitaient davantage la compagnie d’autrui que lorsque la douleur était inéluctable. C’est donc bien l’incertitude qui nourrit le besoin de la compagnie d’autrui.

 

Face à des angoisses collectives, nous procédons de la même façon. Nous cherchons généralement la compagnie d’autrui. Si l’on est vraiment inquiet par la perspective d’une guerre nucléaire, on cherchera avant tout à se mobiliser pour comprendre et appréhender cette menace, évaluer son importance et y faire face collectivement. Aujourd’hui, avec le coronavirus, les gens cherchent également à analyser le danger à travers ce même processus de comparaison sociale. A travers les autres, nous choisirons des grilles de lecture de la réalité qui nous permettront de faire sens de la situation et de répondre à notre angoisse. Le succès des théories conspirationnistes sur la COVID-19 peut à cet égard se comprendre. D'une part,  celles-ci donnent une explication simple à la pandémie et aux mesures qui nous accablent. D'autre part, elles nous rassurent (la Covid n’est pas plus grave qu’une petite grippe). Enfin,  elles sont portées par des communautés, qui jouent un peu le même rôle que les jeunes femmes dans la salle d’attente de l’étude de Stanley Schachter. Ces groupes nous donnent également un sentiment de pouvoir faire face à la menace, de résister ici à l’oppresseur. Les autres sont donc notre refuge. Naturellement, une peur collective n’implique pas nécessairement d’adhérer à des croyances conspirationnistes. En témoignent la solidarité et la discipline dont ont fait preuve certaines communautés, notamment en Asie mais aussi en Europe, pour répondre à la Covid, en se basant sur les connaissances bien établies à ce sujet.

 

Certaines théories en psychologie poussent le raisonnement plus loin. La théorie de la gestion de la peur  propose ainsi que les êtres humains se distinguent des autres animaux par le fait qu’ils ont conscience de leur propre mortalité. Ils mettraient dès lors en place des mécanismes permettant de répondre à l’anxiété que génère ce sentiment. Les auteurs de cette théorie mettent en évidence trois mécanismes en particulier : 


Premièrement, la culture, qui nous donne accès à des représentations nous permettant de transcender notre mortalité, par exemple la croyance en l’au-delà. En second lieu, l’estime de soi, car celle-ci nous indique en fait dans quelle mesure nous nous conformons aux normes culturelles (et donc contribuons en quelque sorte à notre immortalité). Et troisièment, les relations avec autrui, qui, comme dans l’expérience de Schachter, nous permettent de valider notre vision du monde et notre soi. Une des hypothèses découlant de ces travaux est la suivante : lorsque la peur de la mort est particulièrement présente à l’esprit, comme c’est souvent le cas aujourd’hui avec la pandémie, les gens ont davantage tendance à se raccrocher à des croyances culturellement partagées. Pour mettre ces idées à l’épreuve, les auteurs de cette théories ont mené de nombreuses études, qui se sont généralement avérées concluantes. Dans une de celles-ci, assez amusante, des chercheurs ont recruté des étudiants dont ils connaissaient les orientations politiques. Ils ont introduit une manipulation subtile, qui consistait à demander à la moitié de leurs sujets d’envisager comment ils voyaient leur décès (je sais ce n’est pas très joyeux) et aux autres d’envisager une visite chez le dentiste (ce n’est pas drôle non plus, mais normalement on n’en meurt pas). Suite à cette manipulation, les sujets étaient confrontés à un comparse qui exprimait des attitudes politiques. Ils avaient ensuite l’opportunité d’agresser ce participant…en lui faisant déguster une sauce piquante et particulièrement violente pour le palais (pour des raisons éthiques, difficile de donner un gant de boxe aux sujets). Les sujets qui avaient dû penser à leur propre mortalité agressaient davantage une personne exprimant des attitudes contraire aux leurs que ceux qui avaient dû penser à une visite chez le dentiste. Lorsque la faucheuse pointe le bout de son nez, on aurait donc besoin de se raccrocher à ses certitudes en agressant ceux qui les menacent. En toute franchise, je dois dire que ces travaux sont controversés et que tout le monde n’a pas réussi à reproduire ces résultats. Mais c’est souvent comme cela que la science fonctionne….

 

Quoi qu’il en soit, le refuge face à l’angoisse et à la terreur, ce n’est pas un abri nucléaire ou un terrier, mais les autres. Ce sont eux qui nous permettent de mieux appréhender le monde qui nous entoure et parfois, de nous donner l’illusion que la menace n’en n’est pas une.


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Merci à Patrick Rateau pour ses suggestions à ce sujet et à Cécile Poss pour l'invitation à parler de cette chanson sur les ondes...


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1 commentaire:

Unknown a dit…

Je m'appelle Sophie et j'ai 38 ans.
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