mercredi 11 mars 2020

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 8): La solitude est-elle salutaire?

L'une des mesures envisagées par les autorités belges pour faire face au virus consiste à limiter les contacts sociaux. C'est ce qu'on appelle le "social distancing". Ceci, espère-t-on, permettra d'endiguer la progression de l'épidémie : en pratique, il s'agit de faire en sorte que son "pic" soit le plus faible et le plus tardif possible de façon à ce que notre système de santé ne soit pas débordé et puisse faire face à un afflux de malades. Cette idée est représentée dans l'image ci-dessous (en rouge, ce qui se passe si on ne fait rien -un pic ingérable- et à droite, en bleu, ce que l'on peut espérer si on prend les mesures adéquates : une "dune" que l'on peut gravir sans trop d'encombres et sans dépasser la ligne fatidique correspondant à la saturation de notre système de santé). La maladie est asymptomatique ou bénigne dans la plupart des cas. Pour la majorité des individus, ces mesures visent donc moins à préserver leur santé qu'à éviter qu'ils deviennent vecteurs de la maladie. Ceci permet de s'assurer que notre système de santé pourra aider adéquatement le cas échéant les plus vulnérables, ceux pour qui cette maladie constitue un risque important.


Les discours de promotion de la santé ("faites du sport", "mangez moins de graisse",...) sont généralement individualistes: ils visent à ce que chacun se préoccupe de sa propre santé. En faire peu de cas, voire la négliger, peut alors apparaître comme une forme de vertu : on est prêt à mettre en retrait ses intérêts personnels au profit de considérations plus altruistes (comme la convivialité par exemple). Dans cette même logique individualiste, l'un des discours que j'entends régulièrement par rapport au virus consiste à adopter une attitude insouciante du type "de toutes façons, à mon âge et vu mon état de santé, ce n'est pas grave si je l'attrape", "je suis prêt à courir le risque", etc. Il s'agit en quelque sorte d'assumer le rôle du "brave soldat Ryan" face à la maladie. Cette logique du sacrifice individuel est égoïste. Les héros prêts à se frotter à la maladie sont, semble-t-il, des dangers publics. 

Ici, il s'agit moins de protéger sa propre santé que celle des autres. La situation est paradoxale et contraire à nos intuitions : en se protégeant soi-même et en s'éloignant des autres, on préserve les plus faibles, qui doivent être isolés. Selon certaines recommandations, il faut  particulièrement limiter les contacts avec les personnes âgées et autres personnes plus vulnérables (le gouvernement bruxellois a même recommandé d'interdire toute visite dans les maisons de repos "sauf exception"). 

J'évoquais dans un autre billet, qu'en situation d'urgence, la norme n'était pas la panique mais la coopération. Je pensais à des situations  comme des attaques terroristes, des catastrophes naturelles ou des accidents (les plus étudiées). Dans ce type de situation, les victimes potentielles sont en contact et peuvent interagir. Des formes de coopération émergent grâce à ce contact physique (protéger les enfants, porter des victimes à bon port,...). 

La situation qui se présente ici est différente : paradoxalement, coopérer consiste à s'éloigner physiquement d'autrui, à recourir à du "social distancing" pour utiliser la terminologie des autorités belges, c'est-à-dire des comportement généralement utilisés pour manifester un rejet de l'autre (les psychologues sociaux connaissent tous la "social distance scale" de Bogardus, qui est en fait un questionnaire évaluant la tendance des individus à rejeter un groupe social). Bref, pour coopérer, il convient de recourir au comportement qui correspond à nos tendances les plus égoïstes. Difficulté supplémentaire : contrairement à d'autres situation d'urgence où l'on voit clairement des victimes souffrir ou en danger direct, il s'agit de préserver des catégories de la population qui peuvent sembler abstraites et impersonnelles (les "personnes âgées", "les personnes qui ont des difficultés respiratoires") plus que des individus bien précis auxquels on peut se rattacher directement (même si chacun aura des proches concernés). On entend aujourd'hui le nombre de décès recensés chaque jour en Italie ou ailleurs, avec une précision sur l'âge moyen des victimes (souvent élevé). Mais on ne voit guère les personnes qui se cachent derrière ces statistiques, qui semblent désincarnées. 

Par ailleurs, les gens dont il faut s'éloigner physiquement sont précisément ceux qui ont le plus de besoin de contacts : on sait par exemple que les contacts sociaux sont essentiels pour la santé et ce, particulièrement chez les personnes âgées. La solitude tue aussi certainement que le coronavirus. 

Mais les victimes ne sont pas que les personnes âgées, celles qui ont des difficultés respiratoires ou une immunité déficiente. Les conséquences économiques de cette épidémie sont susceptibles d'être considérables et, en pratique, de nombreux travailleurs vont se trouver sans revenus, soit du simple fait de la baisse de l'activité économique, soit parce qu'ils vont être forcés de s'isoler pour éviter d'être vecteurs. Tout le monde n'est pas égal face au virus et celui-ci frappera non les plus vulnérables physiquement mais aussi les plus vulnérables économiquement (qui sont souvent les mêmes). 

Il ressort de ces quelques réflexions que, pour faire face à ce défi, autant les autorités que chacun·e d'entre nous, devrons trouver de nouvelles formes de coopération, qui n'impliquent pas un contact physique. Grâce à des moyens technologiques révolutionnaires, comme le téléphone, il est par exemple possible de maintenir, voire d'augmenter, les contacts sociaux avec les personnes âgées sans être en contact physique avec elles. De grâce, arrêtons d'appeler "social distancing" ce qui est juste du "physical distancing". C'est au contraire de social "approaching" dont nous avons besoin, même s'il n'est pas physique. 




1 commentaire:

H. Antonio Matos Rosal a dit…

Trés bon article.

Excellente phrase arrêtons d'appeler "social distancing" ce qui est juste du "physical distancing". C'est au contraire de social "approaching" dont nous avons besoin, même s'il n'est pas physique.