mercredi 18 janvier 2012

Une fiscalité progressive rend-elle heureux?

Est-on plus heureux dans certains pays que d'autres? Et si oui, pourquoi? Est-ce une question de prospérité:  les riches seraient-ils plus heureux que les pauvres? Est-ce une question de culture: les "torturées" et les "insouciantes"? Ou encore, comme le suggéraient les travaux de Wilkinson et Pickett mentionnés dans le billet précédent, une question d'inégalité? Le psychologue interculturel Shige Oishi (Université de Virginie) et ses collègues ont apporté une réponse originale et intéressante à cette question dans un article récent. Selon eux, un des facteurs qui pourrait déterminer le "bonheur" au sein d'un état est le type de fiscalité qui y règne. Ils se fondent en ceci sur les travaux du grand philosophe politique américain John Rawls qui prônait la redistribution des biens au sein de la société, visant à un accès de tous aux biens publics et des chances égales de réussite sociale (et par-là le bien-être). Pour mettre l'hypothèse de Rawls à l'épreuve, ils se sont appuyés sur les données récoltées au sein de 54 pays dans un sondage Gallup. Parmi les questions posées aux répondants, certaines concernaient le bien-être ou le bonheur. Par exemple "Evaluez votre vie actuelle de 0 ("la pire possible") à 10 ("la meilleure possible"). Ce dernier indice est qualifié  d'indice global de satisfaction de vie.

Par ailleurs, Oishi et ses collègues ont, pour chaque pays, calculé un indice de progressivité de la fiscalité: c'est-à-dire la différence entre le taux d'imposition de la tranche de revenu la plus élevée et la plus basse. Plus cette différence est élevée, plus les "riches" sont proportionnellement davantage imposés que les pauvres, ce qui devrait donc se traduire par une plus grande redistribution des richesse au sein de la société. Il était ensuite aisé d'examiner le lien entre cet indice et le bien-être au sein de chaque pays. Ci-dessous, les résultats pour l'indice globale de satisfaction de vie. On constate que les pays pour lesquels l'imposition est la plus progressive (Pays-Bas, Suède) sont également ceux pour lesquels la satisfaction de vie tend à être la plus élevée (même s'il y a des exceptions) et, inversement, les pays pour lesquels l'imposition est la plus uniforme (Bulgarie, Russie, Lettonie) sont ceux qui sont les moins satisfaits de leur existence.


La relation est forte et statistiquement significative, ce qui signifie qu'il y a très peu de chance qu'elle soit fortuite. Il reste malgré tout intéressant de visualiser les exceptions à la règle comme, par exemple, le Maroc (très progressif, mais pas très heureux) ou l'Arabie Saoudite (peu progressif mais assez heureux). Remarquez par ailleurs la Belgique qui s'avère plus heureuse que le modèle ne le prédit sur base de la progressivité de son système fiscal. 

Oishi et ses collaborateurs constatent également que cette tendance ne s'explique pas uniquement par le niveau d'inégalité au sein du pays, ni par le niveau absolu de fiscalité. Si on contrôle ces variables statistiquement, la relation entre fiscalité et bien-être subsiste. 

En revanche, les auteurs suggèrent, et montrent, qu'on peut l'expliquer par le niveau de satisfaction par rapport aux biens et services publics. Dans les pays les plus "progressifs", on constate une plus grande satisfaction par rapport au système de santé, aux transports, à l'éducation, etc. et cette satisfaction prédit à son tour le niveau de bien-être.

Il n'en reste pas moins qu'il faut traiter ces résultats avec d'autant plus de prudence qu'ils sont corrélationnels: l'existence d'un lien entre fiscalité et bien-être ne permet pas d'affirmer avec certitude que la première cause la seconde. Est-il par exemple, possible que les personnes les plus heureuses de leur existence votent préférentiellement pour des partis favorisant une progressivité de l'impôt? Ou inversement, les gens les plus insatisfaits de leur existence sont-ils les plus susceptibles de favoriser des partis (ultra)libéraux ou conservateurs hostiles à une progressivité de l'impôt? Ce type d'interpétation semble toutefois quelque peu simpliste. Par exemple, aux Etats-Unis, les études disponibles montrent plutôt l'inverse: les Républicains semblent en moyenne plus heureux que les Démocrates (voir un résumé de ces études dans le Washington Post).

Ce caveat mis à part, et indépendamment des inclinations politiques de chacun, il est intéressant, me semble-t-il, de voir comment des travaux de psychologie sociale de ce type (ou d'épidémiologie comme ceux de Wilkinson et Pickett), peuvent étayer la pertinence de différentes politiques publiques. En l'occurrence, on trouve ici des arguments appuyant une politique "de gauche". 

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