samedi 16 décembre 2017

L'entretien consacré aux émeutes de Charlottesville dans le cadre de 12 mois/12 experts, la rétrospective de l'année 2017 faite par le service communication recherche de l'ULB, et plus particulièrement Nathalie Gobbe.



Les violences d’août à Charlottesville ont montré que plus de 150 ans après la guerre de Sécession et un demi-siècle après le mouvement des droits civiques, la question noire reste à vif aux Etats-Unis. Comment l’expliquez-vous, Olivier Klein?

Il faut être prudent: les manifestants de Charlottesville étaient des extrémistes de droite –Ku Klux Klan, néonazis,…– venus de tous les Etats-Unis; il ne sont pas représentatifs de tous les Américains ni des habitants de Charlottesville. Néanmoins, la question du racisme n’a, en effet, jamais été réglée aux Etats-Unis. Il n’y a pas une explication universelle mais différents facteurs qui en rendent compte aujourd’hui. Un élément d’explication a trait au fait que la population majoritaire blanche diminue et devrait même devenir minoritaire dans les années 2040, ce qui alimente chez certains un sentiment de victimisation, une peur de "ne plus être chez soi".

Par ailleurs, l’idéal méritocratique est largement partagé aux Etats-Unis: le fameux rêve américain qui veut que chacun, quelles que soient ses origines, peut réussir à la force du poignet. La sociologue Arlie Hoschild, qui a passé cinq ans dans des communautés rurales blanches de Louisiane, utilise une belle métaphore à ce propos: les Américains se voient marchant en file vers une colline qui représente la richesse et la prospérité. Les groupes minoritaires –noirs, femmes, immigrés– étaient jusqu’alors derrière les hommes blancs mais avec la crise économique, la file s’est arrêtée et ils ont le sentiment aujourd’hui que les groupes minoritaires les dépassent, grâce à l’aide de l’Etat ou à des politiques de discrimination positive. Le fait d’être "dépassés" paraît d’autant plus injuste à certains Blancs que persistent des stéréotypes négatifs sur les groupes minoritaires qui seraient violents, paresseux, bref "non méritants", ce qui nourrit d’autant plus leur ressentiment. Le sentiment d’injustice combiné à une perception de déclin de sa situation sociale joue un rôle-clef. Il y a chez ces populations blanches, un sentiment de non-reconnaissance: ils estiment que les élites urbaines riches de Washington ou de New York les méprisent alors qu’ils sont de "vrais Américains" et de "bons chrétiens"; et en revanche, qu’elles favorisent des minorités.

Le Président Trump a été accusé de galvaniser les discours des nationalistes blancs…


Trump a en effet adopté une position ambivalente puisqu’il a mis les deux camps de Charlottesville sur un pied d’égalité, ne reconnaissant pas qu’il y avait des victimes et des bourreaux. Il n’a pas non plus proposé une politique d’apaisement qui aurait pu canaliser la violence. Au-delà des événements de Charlottesville, des études montrent une augmentation des préjugés depuis l’arrivée de Trump à la présidence et cette augmentation concerne seulement les groupes que Donald Trump a montrés du doigt !

Quel mécanisme entre ici en jeu ?


Le racisme est une forme de préjugé et l’expression ou l’adhésion à tout préjugé est un processus d’influence sociale: si mon groupe social accepte le préjugé, alors, je me sentirai à l’aise pour le vivre et l’exprimer. L’expression publique de discours racistes était devenue largement taboue aux Etats-Unis, en partie parmi les élites. Le Président Trump a contribué à les légitimer et il a ainsi changé la norme: des Américains se sentent désormais plus autorisés à exprimer des propos anti-Noirs ou anti-Hispaniques, par exemple. Il y a aujourd’hui une banalisation du propos raciste aux Etats-Unis.

En avril 2018, il y aura 50 ans que Martin Luther King a été assassiné. Un anniversaire symbolique qui risque de cristalliser des tensions entre Américains. Une société peut-elle se passer d’une mémoire collective ?


Toute communauté se fonde sur une identité qui se nourrit de la mémoire; donc, si un groupe ou une nation veut développer un projet politique collectif, il doit avoir une mémoire collective, un récit commun de son histoire. Or dans le cas américain, cette mémoire n’est pas celle d’une situation symétrique: il y a clairement un groupe qui malgré l’abolition de l’esclavage suite à la guerre de Sécession a été victime d’une oppression systématique entre la fin des années 1870 et les années ‘60. Oublier est par conséquent plus confortable pour ceux qui sont à l’origine de ce système que pour ceux qui en ont été victimes. La mémoire collective n’est pas simplement un choix, c’est aussi un poids à porter. La question du racisme aux Etats-Unis ne peut être résolue sans reconnaître cette mémoire collective conflictuelle. La seule solution est le "travail de mémoire": prendre en compte la multiplicité d’interprétations du passé, sa complexité. Il y a des faits sur lesquels on peut s’accorder et puis, il y a des interprétations qu’il faut entendre. Ou comme le dit ma collègue Valérie Rosoux, "le but n’est pas tant d’établir la vérité avec un grand V que de relire le passé à l’aune de la coopération recherchée".

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