jeudi 15 mars 2012

John Bargh nous répond



Dans un billet daté de janvier, je faisais part d'un article publié par Stéphane Doyen, Axel Cleeremans, Cora-Lise Pichon et moi-même sur l'effet des amorces "inconscientes" sur le comportement. Cet article remettait en cause un effet bien connu en psychologie sociale (amorcer à l'insu des sujets le concept de vieillesse les conduit à se conformer au stéréotype des personnes âgées en marchant plus lentement). Cet effet avait été mis en évidence par le Professeur John Bargh (aujourd'hui à l'université de Yale) et son équipe en 1996. Ce dernier vient d'écrire une réponse au vitriol mais fort argumentée à cet article sur le site de Psychology Today (principale revue américaine de vulgarisation en psychologie). Il s'attaque en effet à différents aspects de notre méthodologie. Le titre de son billet ("nothing in their heads" -  rien dans leur tête) et le ton utilisé sont peu compatibles avec le respect qu'on peut attendre d'un collègue. L'auteur y remet en cause notre compétence et notre connaissance de la littérature. Venant d'une des figures les plus reconnues de notre discipline, cela peut difficilement laisser indifférent.
John Bargh s'en prend également à la revue dans laquelle nous avons plublié l'article, PloS One. Cette revue étant en accès libre repose sur une contribution financière des auteurs à la publication. Ceci, selon notre collègue, pourrait mener à un conflit d'intérêts et donc à la publication d'articles de qualité inférieure (mais finançant la revue).

Les commentaires des lecteurs de ce blog ont fleuri immédiatement et mettent en évidence plusieurs limites des arguments qu'il nous oppose. L'éditeur de la revue figure parmi ces commentateurs et signale certaines erreurs commises par Bargh dans la description de sa revue. De fait, la légitimité de notre travail ne nous semblait pas sérieusement ébranlée par les arguments de Bargh.
Cette controverse a également été reprise sur un blog de vulgarisation scientifique,  "Not Exactly Rocket Science". Ce blog avait déjà diffusé l'existence de notre article. De ce fait, il fait également l'objet de commentaires peu amènes de la part de John Bargh ("journalisme superficiel en ligne").
L'auteur du blog, Ed Yong, a réagi après avoir récolté nos réactions. Il y propose un résumé de l'ensemble de l' "affaire" et refusant de répondre aux insultes, se contente de reprendre les arguments de Bargh et les réponses qu'on peut lui apporter. Mais l'aspect le plus intéressant réside dans les commentaires des lecteurs du blog: celui-ci s'est mué en un débat fort animé sur la nécessité de répliquer les expériences en psychologie. Le débat porte en particulier sur un concept cher à de nombreux psychologues sociaux: la réplication conceptuelle. Contrairement à une réplication "exacte", qui reproduirait intégralement la procédure de l'expérience originale,  l'idée sous-jacente à cette notion est qu'on peut répliquer une étude sur  base des concepts ou des mécanismes sur lesquelles elle repose: par exemple, présenter une Ferrari plutôt qu'une personne âgée et constater que, dans ce cas, on marche plus vite, serait une réplication conceptuelle de l'expérience de Bargh et al. (1996). A l'aune de ce concept, les auteurs d'une réplication qui faillit à reproduire un effet connu peuvent connaître les pires difficultés à se faire publier. En effet, on leur  sommera d'expliquer pourquoi ils ne sont pas parvenus à reproduire l'effet qui a été pourtant  "répliqué conceptuellement" tant de fois. En bref, on vous reproche de ne pas parvenir à montrer pourquoi on ne marche pas plus vite dans un couloir après avoir vu des mots liés à la vieillesse parce qu'un collègue a pu montrer qu'on mange plus proprement des biscuits quand on sent une odeur de détergent.
Cette question fait également l'objet d'un article dans le quotidien anglais The Guardian (qui se réfère également à notre article)Finalement, si la réaction de John Bargh à notre article a pu générer des débats si riches et si vifs, il faut peut-être y voir un bien.

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