J'ai été récemment interviewé sur le complotisme lié à l'épidémie de Covid-19 pour l'émission "On n'est pas des pigeons" (RTBF). J'avais longuement préparé mes réponses...et j'ai constaté que mon intervention avait été coupée au montage. L'émission est disponible ici et est très bien (même s'il ne reste que quelques bribes de mon intervention!).
Pour ceux et celles que cela intéresse (apparemment, il y en a certain·es), voici ce que j'avais préparé (et dit en grande partie). La plupart de ces points sont développés dans d'autres billets de ce blog.
- Peut-on expliquer la résurgence de la pandémie par un moins grand suivi des mesures chez l’ensemble des Belges ?
- Je ne suis pas épidémiologiste. Une chose toutefois est importante à prendre en compte : une augmentation moyenne des infections ne s’explique pas nécessairement par des changements de comportement dans la population. Elle peut s’expliquer par des changements dans des sous-groupes ou des « clusters » (par exemple le rôle de la rentrée universitaire). Il est donc possible que la plupart des Belges aient montré le même niveau d’adhésion aux mesures que précédemment et que malgré tout la diffusion du virus se soit envolée.
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Ceci étant dit, on voit une chose intéressante dans le
baromètre de l’université de Gand : suite à la conférence de presse du CNS le 23 septembre, il y a eu une baisse de la motivation à suivre les mesures (voir ci-dessous). Or, cela coïncide assez bien avec la reprise de la pandémie dont on voit les conséquences quelques semaines plus tard. Le message de l’assouplissement des mesures était clairement que la situation était sous contrôle et qu’on pouvait laisser la pression.
- Par ailleurs, il importe de prendre en compte que la seconde vague est un phénomène européen et que les mesures prises en Belgique n'expliquent qu'une partie de l'évolution de la pandémie en Belgique.
- Pourquoi voit-on de nombreuses personnes ne pas suivre les mesures ?
J’aimerais souligner les éléments suivants (il y en a d'autres, mais je me centre ici sur des facteurs psychosociaux, c'est-à-dire lié à des appartenances collectives, et pas seulement intra-individuels):
1. Sur base d’une des
études les plus complète sur le sujet (menés au R-U), le principal facteur explicatif d' une adhésion prolongée aux mesures semble être la
confiance en les autorités qui édictent ces mesures. Dans les études dont j'ai pu prendre connaissance, c’est la confiance en la compétence du gouvernement britannique qui était déterminante. C’est relativement normal : des mesures ne peuvent sembler légitimes que si ceux qui les édictent sont perçus comme compétents. Or, les données dont on dispose aujourd’hui suggèrent que les niveaux de confiance dans le gouvernement fédéral sont assez faibles en Belgique. On peut supposer que différents « couacs » dans la gestion de la pandémie ont contribué à cela.
2. Lorsque la confiance n’est pas là, on se retourne vers d’autres sources d’informations et ce d’autant plus que nous sommes dans une situation d’incertitude, anxiogène. C’est à ces moment-là qu’on recherche le plus des réponses. A cet égard, une multitude d’agents nous proposent des sources proposent des interprétations alternatives de la situation actuelle. Parmi celles-ci, des experts et d’autres qui le sont moins. Il est difficile dans cet océan d’informations de savoir vers qui se tourner, d’autant plus que – comme c’est normal dans le domaine scientifique, les experts ne sont pas tous du même avis. Selon certains, les mesures sont beaucoup trop fortes et une approche plus « light » ferait l’affaire. Certaines perspectives virent carrément dans le complotisme en considérant que la pandémie ou les mesures qui les accompagnent ne constitueraient qu’un stratégème pour aliéner les masses ou s’enrichir.
Certains de ces discours alternatifs sont souvent doux à nos oreilles. Parce qu’ils légitiment de pouvoir assouplir notre mode de vie fort contraint par ces mesures. Et c’est bien compréhensible : si mon gagne-pain est mis à mal par ces mesures, tout discours qui les remet en cause sera attirant. Par ailleurs, certains discours plus extrêmes sont valorisants à d’autres titres : en nous faisant passer pour des êtres éclairés et non pas des moutons suivant béatement le troupeau, en nous donnant un rôle d’acteur (« ne vous laissez pas faire », « protestez » affirment ainsi certains complotistes). Cette idée est développée dans
ce billet-ci.
3. Il importe de souligner que ces discours ne sont pas des « ovnis » isolés. Ils sont portés par des amis, des membres de notre famille, des connaissances, des associations, des groupes de pression ou simplement des communautés en ligne. Se ranger à ces discours, c’est aussi trouver du soutien social, être valorisé par d’autres, se sentir membre d’un groupe. Par exemple, sur internet, cela peut se traduire pas des likes, des demandes d’amitiés, etc. Très précieux quand le (pseudo)confinement nous isole !
4. Ce type de phénomène est amplifié par les réseaux sociaux qui tendent d’une part à nous proposer des contenus qui confirment nos croyances, dès lors qu’ils correspondent à ce que l’on a regardé précédemment. Par ailleurs, les RS permettent à des gens qui partagent des attitudes communes de se retrouver, de se mettre en contact, et donc de renforcer leurs attitudes mutuellement.
5. Enfin, il importe de bien prendre en compte que respecter les mesures implique des coûts importants et que le choix de s’y plier ou non dépend en partie de la façon dont on appréhende le calcul « coût-bénéfice ». Imaginez la situation suivante : vous avez le choix entre deux possibilités :
- Soit voir un ami ou une amie pour qui vous savez que votre présence est importante, pour partager un chagrin, une joie. Vous êtes sûr que ce moment vous fera du bien à tous les deux.
- Soit ne pas le voir en vous disant qu’il y a une possibilité que vous transmettiez le virus ou soyez infecté·e. Ceci par contre est peu probable. Même si c’est possible, une personne asymptomatique a peu de chances d’être porteuse du virus et contagieuse.
Vous devez donc choisir entre un bénéfice certain et un coût incertain (voir
ce billet, où je développe cette idée).
- C’est difficile dans ce type de situation de faire le « bon choix », au nom de protéger quelque chose d’aussi abstrait que « les gens à risque » ou « les hôpitaux ». A mon avis, ce simple calcul et cette différence entre la certitude d’un choix et l’incertitude d’un autre explique en grande partie le fait que de nombreuses personnes ne respectent pas les mesures. Pour faire face à cela : nécessaire de formuler ce choix non pas au niveau individuel mais au niveau collectif : qu’est-ce que ça nous coûte et non pas qu’est-ce que me coût que de réduire mes contacts ? Là, la balance penche beaucoup plus en faveur d’une réduction des contacts sociaux. Message important : l’opposition entre les intérêts individuels et collectifs est absurde ici. L’intérêt individuel passe par le collectif.
6.
Sentiment de victimisation collective : Certains groupes peuvent aussi se désolidariser des mesures parce qu’ils se sentent abandonnés ou laissés pour compte et ont le sentiment que leurs préoccupations sont niées. Chez certains jeunes, on a pu ainsi voir un discours du type (« ces mesures sont faites pour ennuyer les jeunes »), idem dans les banlieues en France (nous enfermer, ça permet au flics de mieux nous surveiller"). Ce type de ressenti peut être accentué par le sentiment que les mesures sont prises de façon « top down » sans réelle concertation avec le sous-groupe concerné. Par ailleurs, comme nous l'avons montré dans un
article récent, le sentiment de victimisation collective favorise l'adhésion au complotisme (surtout chez les gens fort identifiés à leur communauté). Ce sentiment renforce l'appartenance à des groupes subordonnés. Or c'est l'identification à l'ensemble de la communauté qui permet de renforcer la solidarité (voir ce billet-
ci à ce sujet).
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