Je dispense un cours de psychologie du genre, dont une partie importante est consacrée à l'étude du sexisme visant les femmes. A l'issue des cours traitant de cette question, une étudiante m'écrit la chose suivante (extrait):
"J'ai l'impression que la lecture qu'on fait du sexisme, comme ne défavorisant que les femmes, est très dangereuse. Les médias parlent très rarement du fait qu' après un divorce la cour concède les enfants quasi-toujours à la mère, ou que les femmes qui abusent sexuellement sont perçues moins négativement que les hommes et elles ont une peine mineure. Il y a puis toute une problématique liée à la pression que les hommes ressentent sur le plan de la sexualité et du succès professionnel (...) En parler est-il perçu comme du sexisme? Moi j'ai l'impression que oui, cet arguments sont injustement vus comme le tentative de minimiser les effets que le sexisme a sur les femmes, alors que pour moi ça n'a pas de sens car on devrait être tous dans le même côté."
Il me semblait intéressant de partager ma réponse à cette étudiante, dont les préoccupations sont, je pense, partagées par beaucoup de monde.
Il y a donc plusieurs questions ici:
- Y a-t-il du sexisme à l'égard des hommes?
- Prétendre que ce type de sexisme existe constitute-t-il une forme de sexisme à l'égard des femmes?
- Est-il dangereux de nier l'existence de ce type de sexisme?
Voici ma tentative de réponse.
Premièrement, cela implique de définir ce qu'on entend par sexisme.
Une définition psychologique du sexisme considère celui-ci comme recouvrant des attitudes négatives, voire des émotions spécifiques, vis-à-vis des membres d'un groupe en raison de leur sexe. Nous avons ainsi vu que le sexisme bienveillant (par exemple) comprenait une forme de mépris vis-à-vis des femmes adoptant des rôles traditionnels de genre. Il est clair que les femmes peuvent ressentir des émotions négatives à l'égard des hommes. Par exemple, Glick et Fiske, les auteurs du concept de sexisme ambivalent à l'égard des femmes, ont étudié les attitudes ambivalentes des femmes à l'égard des hommes également en isolant notamment une émotion dominante (l'autre est ce qu'ils appellent "le maternalisme"): le ressentiment vis-à-vis des attitudes paternalistes/de domination dont peuvent faire preuve les hommes. Il s'agit d'une émotion négative qui, strictement parlant, relève donc du sexisme au sens de la définition ci-dessus. De ce point de vue, il suffirait que quelques femmes ressentent ce type d'émotions pour qu'on puisse considérer qu'il y ait du sexisme. On ne s'intéresse généralement au sexisme que s'il s'agit d'une attitude partagée par de larges segments de la société. Là encore, les travaux de Glick et Fiske suggèrent que les attitudes qu'ils évoquent sont partagées socialement par de nombreuses femmes. Mais comme on le voit ici, cette forme de "sexisme" s'inscrit dans des relations de pouvoir spécifiques (ici, une réponse à la "domination masculine") et on ne peut appréhender ce sexisme de dominées qu'en réponse à sa forme plus classique.
On pourrait toutefois également adopter une définition plus sociologique du sexisme. Par exemple, dans ce même cours, on envisageait l'approche proposée par la philosophe Kate Manne, qui voyait le sexisme comme une idéologie visant à légitimer un système patriarcal. Il est clair que, dans ce cadre-là, il est plus difficile de poser l'existence d'un sexisme à l'égard des hommes. On pourrait toutefois arguer que les attitudes négatives à l'égard des hommes, en renforçant la "binarité de genre" (l'idée qu'il n'existe que deux genres et que ceux-ci sont opposés), contribuent indirectement à cette idéologie.
Donc, ma réponse à la question: "Y a-t-il un sexisme à l'égard des hommes?" est "ça dépend comment on définit le sexisme".
Deuxièmement, est-ce que les exemples que vous citez reflétent une forme de sexisme à l'égard des hommes?
Les exemples cités correspondent non pas à du sexisme mais à un traitement différencié des hommes et des femmes. On est donc davantage dans la discrimination que dans le sexisme ici. Et encore, on ne peut parler de discrimination que si ce traitement différencié est dû au sexe et non pas à d'autres facteurs qui se trouvent confondus avec le sexe, comme, par exemple, la dépendance par rapport au/ à la conjoint·e ou l'ampleur des séquelles physiques subies. En admettant qu'il s'agisse de discrimination, l'implication est que cette discrimination révélerait des attitudes négatives partagées, voire institutionnalisées, à l'égard des hommes (et donc du sexisme à l'égard des hommes, selon la définition psychologique).
Il me semble important de me pencher directement sur les exemples que vous citez. Concernant les violences dans les relations intimes, il ne fait guère de doute que les femmes en sont plus victimes que les hommes (voir par exemple ici). Or, la plupart des plaintes sont classées sans suite (70% en Belgique; idem dans les pays anglo-saxons) ce qui, en substance, s'avère principalement désastreux pour des femmes (et le confinement n'arrange pas les choses). Est-ce que les plaintes des hommes ont plus de chance d'être classées sans suite que celle des femmes? Et celles-ci ont-elles moins de chances d'être condamnées? D'après les quelques données dont je dispose, il semblerait que la réponse à ces questions soit positive (voir par exemple ceci). Mais ceci reflète une tendance générale dans le système judiciaire pour tous les types de délits (voir ici une étude américaine): les femmes reçoivent des peines moins sévères que les hommes. Une fois encore, il serait prématuré d'affirmer que cela reflète une forme de sexisme à l'égard des hommes. D'autres facteurs doivent être pris en compte comme le fait, par exemple, que les femmes assurent plus souvent la garde des enfants et qu'une peine de prison peut donc entraîner des conséquences plus graves sur leur entourage social (innocent).
En ce qui concerne la garde d'enfants, des études suggèrent qu'en effet, les femmes sont parfois avantagées. Par exemple, dans une étude expérimentale menée avec de véritables juges (américains) devant traiter de cas où toutes les informations étaient contrôlées et le genre du parent manipulé, on constatait une tendance à privilégier les mères dans l'octroi du droit de garde exclusive. Ici l'adhésion aux rôles traditionnels de genre (en gros "les femmes doivent rester à la maison et s'occuper des enfants et les hommes travailler et être rémunérés") prédisait statistiquement la décision des juges. Ceci est intéressant car ce résultat suggère que les décisions en termes de garde d'enfants reflètent en fait un sexisme tout à fait traditionnel qui, généralement, avantage les hommes mais, dans ce cas particulier, les femmes. Ceci étant, au-delà d'études expérimentales contrôlées comme celles-ci, les questions de droit de garde sont complexes: dans la plupart des cas, la garde partagée est la norme et lorsque la garde n'est pas accordée au père, c'est parce qu'il ne l'a pas demandée, parce que des comportements problématiques sont suspectés (violence, alcoolisme) ou parce qu'il ne dispose pas d'un logement adapté (voir cet article-ci concernant la France). Bref, la discrimination ne pourrait opérer que dans les rares cas où père et mère demandent la garde exclusive de l'enfant et ont des conditions de vie similaires.
En somme, les phénomènes que vous citez ne relèvent pas nécessairement du sexisme et s'il y a sexisme, il concerne des cas hyper-minoritaires.
Troisièmement, est-il légitime d'étudier des phénomènes de discrimination à l'égard des hommes?
Deux arguments peuvent à mon sens être proposés à l'encontre de la légitimé d'une telle étude.
Selon le premier, les domaines dans lesquels les hommes sont désavantagés sont minoritaires. Cela reviendrait à s'intéresser au rare bouleau isolé dans une forêt de hêtres et cela n'a donc guère d'intérêt.
Selon le second, ces cas sont instrumentalisés pour promouvoir une idéologie sexiste et se pencher sur ceux-ci contribue donc à alimenter de tels discours et à renforcer le système patriarcal.
Penchons-nous sur ces deux arguments.
Des mouvements revendiquant clairement une idéologie misogyne et parfois avec des moyens violents (comme les Incel inspirées par Elliot Rodger) utilisent les discriminations réelles ou supposées dont sont victimes les hommes pour légitimer l'existence de leur mouvement. Il en résulte que des tentatives d'étudier ces phénomènes peuvent être considérées comme suspectes et visant à remettre en cause l'existence d'un système patriarcal. La plus grande difficulté à laquelle nous faisons face, dans le domaine de la psychologie du genre, est précisément la difficulté de distinguer l'analyse aussi objective que possible des résultats de recherche des implications politiques de ceux-ci quant à une justification vs. une contestation des inégalités de genre. Pour moi, en aucun cas, l'utilisation politique qui peut être faite de l'existence d'un phénomène ne doit empêcher de se pencher dessus. Par exemple, la violence à l'égard des hommes est une réalité qui, même si elle est minoritaire, peut être l'objet d'une étude légitime. L'étudier n'implique nullement de remettre en cause le fait que les femmes soient plus souvent victimes de ce phénomène que les hommes ou de contester l'existence d'un système patriarcal. En réalité, étudier la violence faite aux hommes peut être un révélateur de ce système (comme l'est l'influence de l'adhésion aux rôles de genres différenciés sur la décision des jugés évoquée ci-dessus). S'intéresser au bouleau permet donc parfois de mieux comprendre la forêt tout comme s'intéresser à une pathologie rare permet parfois de mieux comprendre le fonctionnement normal de l'organisme. Il est donc possible de s'intéresser à ce type de sexisme tout en étant désireux comme le souhaite mon étudiante d'être "tous du même côté".
Autre question: est-il dangereux de nier l'existence de ce type de sexisme? Je pense que si une forme de sexisme est avérée, touche un grand nombre d'individus, et qu'on ne l'étudie pas pour des raisons politiques, c'est en effet problématique. Par rapport aux cas que vous citez, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas.
Mon impression est davantage que les mouvements "masculinistes" sont animés par un ressentiment qui se nourrit de toute recherche pouvant étayer leurs thèses. De ce point de vue ils opèrent selon une logique commune à de nombreux préjugés (voir ce billet à cet égard). Que l'on reconnaisse la réalité de certaines formes de sexisme anti-hommes ou qu'on "ignore" ces phénomènes, ils verront dans ces deux réactions une légitimation de leur position. En revanche, certains individus singuliers peuvent faire sens de leur expérience personnelle, de leurs échecs, en invoquant du sexisme anti-homme ou en cultivant une misogynie extrême (c'est le cas de tueur d'Isla Vista, Elliot Rodger). Je pense que la réponse appropriée à ce désarroi n'est pas de reconnaître l'existence d'un sexisme généralisé, et donc de conforter leur interprétation, mais plutôt de les aider envisager d'autres interprétations de leur expérience, à les écouter, en cherchant à donner une réponse au malaise qu'ils ressentent et des outils pour y faire face. Ici, la psychologie clinique se substitue à la psychologie sociale.
Voilà! J'espère que ma réponse satisfera ceux et celles qui se posent les mêmes questions que mon étudiante. Malheureusement, les commentaires ne semblent pas fonctionner...
"J'ai l'impression que la lecture qu'on fait du sexisme, comme ne défavorisant que les femmes, est très dangereuse. Les médias parlent très rarement du fait qu' après un divorce la cour concède les enfants quasi-toujours à la mère, ou que les femmes qui abusent sexuellement sont perçues moins négativement que les hommes et elles ont une peine mineure. Il y a puis toute une problématique liée à la pression que les hommes ressentent sur le plan de la sexualité et du succès professionnel (...) En parler est-il perçu comme du sexisme? Moi j'ai l'impression que oui, cet arguments sont injustement vus comme le tentative de minimiser les effets que le sexisme a sur les femmes, alors que pour moi ça n'a pas de sens car on devrait être tous dans le même côté."
Elliot Rodger, le tueur misogyne d'Isla Vista
Il me semblait intéressant de partager ma réponse à cette étudiante, dont les préoccupations sont, je pense, partagées par beaucoup de monde.
Il y a donc plusieurs questions ici:
- Y a-t-il du sexisme à l'égard des hommes?
- Prétendre que ce type de sexisme existe constitute-t-il une forme de sexisme à l'égard des femmes?
- Est-il dangereux de nier l'existence de ce type de sexisme?
Voici ma tentative de réponse.
Premièrement, cela implique de définir ce qu'on entend par sexisme.
Une définition psychologique du sexisme considère celui-ci comme recouvrant des attitudes négatives, voire des émotions spécifiques, vis-à-vis des membres d'un groupe en raison de leur sexe. Nous avons ainsi vu que le sexisme bienveillant (par exemple) comprenait une forme de mépris vis-à-vis des femmes adoptant des rôles traditionnels de genre. Il est clair que les femmes peuvent ressentir des émotions négatives à l'égard des hommes. Par exemple, Glick et Fiske, les auteurs du concept de sexisme ambivalent à l'égard des femmes, ont étudié les attitudes ambivalentes des femmes à l'égard des hommes également en isolant notamment une émotion dominante (l'autre est ce qu'ils appellent "le maternalisme"): le ressentiment vis-à-vis des attitudes paternalistes/de domination dont peuvent faire preuve les hommes. Il s'agit d'une émotion négative qui, strictement parlant, relève donc du sexisme au sens de la définition ci-dessus. De ce point de vue, il suffirait que quelques femmes ressentent ce type d'émotions pour qu'on puisse considérer qu'il y ait du sexisme. On ne s'intéresse généralement au sexisme que s'il s'agit d'une attitude partagée par de larges segments de la société. Là encore, les travaux de Glick et Fiske suggèrent que les attitudes qu'ils évoquent sont partagées socialement par de nombreuses femmes. Mais comme on le voit ici, cette forme de "sexisme" s'inscrit dans des relations de pouvoir spécifiques (ici, une réponse à la "domination masculine") et on ne peut appréhender ce sexisme de dominées qu'en réponse à sa forme plus classique.
On pourrait toutefois également adopter une définition plus sociologique du sexisme. Par exemple, dans ce même cours, on envisageait l'approche proposée par la philosophe Kate Manne, qui voyait le sexisme comme une idéologie visant à légitimer un système patriarcal. Il est clair que, dans ce cadre-là, il est plus difficile de poser l'existence d'un sexisme à l'égard des hommes. On pourrait toutefois arguer que les attitudes négatives à l'égard des hommes, en renforçant la "binarité de genre" (l'idée qu'il n'existe que deux genres et que ceux-ci sont opposés), contribuent indirectement à cette idéologie.
Donc, ma réponse à la question: "Y a-t-il un sexisme à l'égard des hommes?" est "ça dépend comment on définit le sexisme".
Deuxièmement, est-ce que les exemples que vous citez reflétent une forme de sexisme à l'égard des hommes?
Les exemples cités correspondent non pas à du sexisme mais à un traitement différencié des hommes et des femmes. On est donc davantage dans la discrimination que dans le sexisme ici. Et encore, on ne peut parler de discrimination que si ce traitement différencié est dû au sexe et non pas à d'autres facteurs qui se trouvent confondus avec le sexe, comme, par exemple, la dépendance par rapport au/ à la conjoint·e ou l'ampleur des séquelles physiques subies. En admettant qu'il s'agisse de discrimination, l'implication est que cette discrimination révélerait des attitudes négatives partagées, voire institutionnalisées, à l'égard des hommes (et donc du sexisme à l'égard des hommes, selon la définition psychologique).
Il me semble important de me pencher directement sur les exemples que vous citez. Concernant les violences dans les relations intimes, il ne fait guère de doute que les femmes en sont plus victimes que les hommes (voir par exemple ici). Or, la plupart des plaintes sont classées sans suite (70% en Belgique; idem dans les pays anglo-saxons) ce qui, en substance, s'avère principalement désastreux pour des femmes (et le confinement n'arrange pas les choses). Est-ce que les plaintes des hommes ont plus de chance d'être classées sans suite que celle des femmes? Et celles-ci ont-elles moins de chances d'être condamnées? D'après les quelques données dont je dispose, il semblerait que la réponse à ces questions soit positive (voir par exemple ceci). Mais ceci reflète une tendance générale dans le système judiciaire pour tous les types de délits (voir ici une étude américaine): les femmes reçoivent des peines moins sévères que les hommes. Une fois encore, il serait prématuré d'affirmer que cela reflète une forme de sexisme à l'égard des hommes. D'autres facteurs doivent être pris en compte comme le fait, par exemple, que les femmes assurent plus souvent la garde des enfants et qu'une peine de prison peut donc entraîner des conséquences plus graves sur leur entourage social (innocent).
En ce qui concerne la garde d'enfants, des études suggèrent qu'en effet, les femmes sont parfois avantagées. Par exemple, dans une étude expérimentale menée avec de véritables juges (américains) devant traiter de cas où toutes les informations étaient contrôlées et le genre du parent manipulé, on constatait une tendance à privilégier les mères dans l'octroi du droit de garde exclusive. Ici l'adhésion aux rôles traditionnels de genre (en gros "les femmes doivent rester à la maison et s'occuper des enfants et les hommes travailler et être rémunérés") prédisait statistiquement la décision des juges. Ceci est intéressant car ce résultat suggère que les décisions en termes de garde d'enfants reflètent en fait un sexisme tout à fait traditionnel qui, généralement, avantage les hommes mais, dans ce cas particulier, les femmes. Ceci étant, au-delà d'études expérimentales contrôlées comme celles-ci, les questions de droit de garde sont complexes: dans la plupart des cas, la garde partagée est la norme et lorsque la garde n'est pas accordée au père, c'est parce qu'il ne l'a pas demandée, parce que des comportements problématiques sont suspectés (violence, alcoolisme) ou parce qu'il ne dispose pas d'un logement adapté (voir cet article-ci concernant la France). Bref, la discrimination ne pourrait opérer que dans les rares cas où père et mère demandent la garde exclusive de l'enfant et ont des conditions de vie similaires.
En somme, les phénomènes que vous citez ne relèvent pas nécessairement du sexisme et s'il y a sexisme, il concerne des cas hyper-minoritaires.
Troisièmement, est-il légitime d'étudier des phénomènes de discrimination à l'égard des hommes?
Deux arguments peuvent à mon sens être proposés à l'encontre de la légitimé d'une telle étude.
Selon le premier, les domaines dans lesquels les hommes sont désavantagés sont minoritaires. Cela reviendrait à s'intéresser au rare bouleau isolé dans une forêt de hêtres et cela n'a donc guère d'intérêt.
Selon le second, ces cas sont instrumentalisés pour promouvoir une idéologie sexiste et se pencher sur ceux-ci contribue donc à alimenter de tels discours et à renforcer le système patriarcal.
Penchons-nous sur ces deux arguments.
Des mouvements revendiquant clairement une idéologie misogyne et parfois avec des moyens violents (comme les Incel inspirées par Elliot Rodger) utilisent les discriminations réelles ou supposées dont sont victimes les hommes pour légitimer l'existence de leur mouvement. Il en résulte que des tentatives d'étudier ces phénomènes peuvent être considérées comme suspectes et visant à remettre en cause l'existence d'un système patriarcal. La plus grande difficulté à laquelle nous faisons face, dans le domaine de la psychologie du genre, est précisément la difficulté de distinguer l'analyse aussi objective que possible des résultats de recherche des implications politiques de ceux-ci quant à une justification vs. une contestation des inégalités de genre. Pour moi, en aucun cas, l'utilisation politique qui peut être faite de l'existence d'un phénomène ne doit empêcher de se pencher dessus. Par exemple, la violence à l'égard des hommes est une réalité qui, même si elle est minoritaire, peut être l'objet d'une étude légitime. L'étudier n'implique nullement de remettre en cause le fait que les femmes soient plus souvent victimes de ce phénomène que les hommes ou de contester l'existence d'un système patriarcal. En réalité, étudier la violence faite aux hommes peut être un révélateur de ce système (comme l'est l'influence de l'adhésion aux rôles de genres différenciés sur la décision des jugés évoquée ci-dessus). S'intéresser au bouleau permet donc parfois de mieux comprendre la forêt tout comme s'intéresser à une pathologie rare permet parfois de mieux comprendre le fonctionnement normal de l'organisme. Il est donc possible de s'intéresser à ce type de sexisme tout en étant désireux comme le souhaite mon étudiante d'être "tous du même côté".
Autre question: est-il dangereux de nier l'existence de ce type de sexisme? Je pense que si une forme de sexisme est avérée, touche un grand nombre d'individus, et qu'on ne l'étudie pas pour des raisons politiques, c'est en effet problématique. Par rapport aux cas que vous citez, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas.
Mon impression est davantage que les mouvements "masculinistes" sont animés par un ressentiment qui se nourrit de toute recherche pouvant étayer leurs thèses. De ce point de vue ils opèrent selon une logique commune à de nombreux préjugés (voir ce billet à cet égard). Que l'on reconnaisse la réalité de certaines formes de sexisme anti-hommes ou qu'on "ignore" ces phénomènes, ils verront dans ces deux réactions une légitimation de leur position. En revanche, certains individus singuliers peuvent faire sens de leur expérience personnelle, de leurs échecs, en invoquant du sexisme anti-homme ou en cultivant une misogynie extrême (c'est le cas de tueur d'Isla Vista, Elliot Rodger). Je pense que la réponse appropriée à ce désarroi n'est pas de reconnaître l'existence d'un sexisme généralisé, et donc de conforter leur interprétation, mais plutôt de les aider envisager d'autres interprétations de leur expérience, à les écouter, en cherchant à donner une réponse au malaise qu'ils ressentent et des outils pour y faire face. Ici, la psychologie clinique se substitue à la psychologie sociale.
Voilà! J'espère que ma réponse satisfera ceux et celles qui se posent les mêmes questions que mon étudiante. Malheureusement, les commentaires ne semblent pas fonctionner...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire