vendredi 18 décembre 2020

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 20): Vaccin anti-Covid: "Les personnes vulnérables et les motivées d'abord!"

 (une carte blanche au nom du groupe psychologie et corona publiée le 17/12 dans l'Echo. Je la partage ici vu les difficultés d'accès pour certains). 




Après un Noël inhabituel, l’année nouvelle débutera avec le lancement d'un programme de vaccination visant à nous libérer de l'emprise du coronavirus. Son déploiement représente un énorme défi logistique. Cela prendra de longs mois et tout le monde ne pourra pas se faire vacciner en même temps.


En outre, les données récentes du baromètre de motivation de l’Université de Gand, en collaboration avec l’UCLouvain et l’ULB, montrent que 56% de la population se déclare prête à se faire vacciner, tandis qu'un tiers environ veut regarder d’où vient le vent ou ne fait pas confiance au vaccin. D’autres sont carrément opposés à la vaccination. Or, il faut une couverture vaccinale de 70% pour atteindre une immunité de groupe suffisante. 


Notre comportement est donc non seulement la clé de la prévention de la propagation du virus, mais il détermine aussi le succès de l’ensemble du programme de vaccination. Deux questions cruciales se posent donc: comment parvenir à une couverture vaccinale suffisante dans la population et comment déterminer une séquence de vaccination. 




Débat sans issue


Peu de discussions portent sur les priorités médicales: d'abord les groupes vulnérables dans les maisons de repos, les plus de 65 ans, les plus de 50 ans avec facteurs de risque et le personnel des soins de santé. Ensuite, l'ordre de priorité est nettement moins clair. Le débat peut être alimenté par un large éventail d'arguments éthiques, économiques et sanitaires. Gageons que les différents groupes d'intérêt mettront tout en œuvre pour en orienter les conclusions. La fixation de priorités stimulera des motivations égoïstes et des sentiments d’injustice, colorant négativement la question de la vaccination. Ceux qui seront déclarés prioritaires, mais ne voudront pas se faire vacciner subiront des pressions, ce qui réduira encore leur motivation et donc celle de la population. Bref, la fixation de priorités mènera à un débat sociétal et politique enflammé, polarisant et sans réelle issue.



Les personnes motivées d'abord

Épargnons-nous cette douloureuse discussion et optons pour une solution bien plus simple. Les données récentes du baromètre de motivation montrent que deux facteurs déterminent la volonté de se faire vacciner: la conviction personnelle au sujet de la vaccination et (dans un sens négatif) la méfiance à l'égard du vaccin. Le groupe de travail "Psychologie et Corona" propose donc qu’après les priorités médicales on ouvre la porte à toute personne qui souhaite se faire vacciner volontairement sur la base du principe "premier arrivé, premier servi".

Vacciner les plus motivés offre une série d’avantages.

Tout d'abord, il ne faut pas convaincre ces personnes au préalable. Elles le sont déjà. Ensuite, on retrouve ces personnes dans tous les groupes sociodémographiques du pays même si les personnes âgées se montrent aujourd’hui un brin plus enthousiastes que les plus jeunes. Si ces personnes se vaccinent pour elles-mêmes, elles le font aussi par solidarité avec les autres et pour le bien commun. Elles sont dès lors prêtes à encourager d'autres et se déclarent même disposées à agir en tant qu'ambassadrices dans des campagnes de promotion. Le risque d'abandon entre les deux prises du vaccin sera aussi bien plus limité. En outre, ce sont les personnes motivées qui sont les plus disposées à poursuivre l‘effort des gestes barrières nécessaires au-delà de la vaccination.

Un autre avantage est que ces personnes font confiance au vaccin. Bien sûr, pas de façon inconditionnelle, mais si une analyse scrupuleuse et transparente par des experts d'organismes indépendants conclut que le vaccin est sûr, cette confiance est justifiée. Le manque de confiance présente plusieurs inconvénients. Il va de pair avec la crainte que le vaccin provoque des effets désagréables, et cette crainte est une recette idéale pour l’émergence d’effets nocebo (l'inverse du placebo). Les effets nocebo se produiront donc moins souvent et seront dès lors moins médiatisés. L'administration d'un vaccin, même sûr, sera aussi suivie de problèmes de santé chez certains. Ces cas surgiraient même en l’absence du vaccin, mais peuvent lui être attribués à tort. Or, faire la distinction entre "suivi par" et "causé par" est souvent très difficile. Rien de plus tentant pour les utilisateurs de médias sociaux que de déballer les histoires de gens qui auront développé des symptômes après avoir été vaccinés, alimentant la méfiance. Les personnes qui ont confiance et se font vacciner par conviction sont nettement moins enclines à attribuer à tort l’apparition de symptômes soudains au vaccin.


La simplicité avant tout

En misant sur la liberté de choix comme principe de base, ce sont des images de fierté, de joie et de soulagement qui accompagneront l'administration du vaccin. Cette approche réduit le risque qu’on attribue au vaccin des inconvénients injustifiés, et les témoignages des personnes vaccinées montreront que les effets secondaires sont tout au plus limités et de courte durée. Cela contribuera à faire que celles et ceux qui ont des doutes puissent se défaire de leurs hésitations.

À côté de cela, il faudra entendre les interrogations de la population et fournir l’information nécessaire pour apaiser les craintes. Au vu du rôle central de la confiance, il est également fondamental de pouvoir travailler avec les professionnels de la santé qui, au vu de notre enquête, bénéficient du plus grand crédit.


Il s’agira aussi de mobiliser les nombreuses organisations et associations qui maillent notre pays afin de faciliter l’accès de tous, y compris les plus démunis et les moins informés, à la vaccination. Bien sûr, on aura toujours besoin de communication motivante et de mesures de soutien psychologique, mais au moins nous ne rendrons pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà. En optant pour les personnes vulnérables et les plus motivées d’abord, il s’agit donc de "faire simple", ce qui sera déjà en soi assez difficile sur le plan strictement logistique.

Par Olivier Klein (ULB), Olivier Luminet (UCLouvain), Omer Van den Bergh (KU Leuven), Maarten Vansteenkiste (UGent) et Vincent Yzerbyt (UCLouvain)

Au nom du groupe d’experts "Psychologie & Corona"

https://www.uppcf.be/groupe-experts-psychologie-et-covid

mercredi 16 décembre 2020

Etes-vous "algorithm aware"?


Avez-vous un compte Twitter ou Facebook? Si oui,  vous voyez apparaître sur votre "mur" une série de billets postés par vos "amis" ou "followees". Quels sont ces billets? Correspondent-ils à tous les billets que vos ami·es ont postés, dans un ordre chronologique? Ou pensez-vous au contraire que, parmi les innombrables billets postés par vos ami·es, le réseau social a sélectionné certains, guidé par exemple par le souhait de maximiser les chances que vous cliquiez sur un lien vous invitant à effectuer un achat? Si vous avez choisi la première réponse, vous souffrez d'un niveau "de conscience des algorithmes" (algorithm awareness) très faible alors que si vous avez choisi la seconde, il est plus élevé. Une enquête récente menée sur un échantillon d'internautes  norvègiens montre que 40% des gens rapportent n'avoir aucune conscience de l'influence de l'existence des algorithmes sur les publicités et informations qu'ils reçoivent sur internet. Sans surprise, le niveau de "conscience des algorithmes" est étroitement lié à l'âge. Plus on est âgé, plus il est bas. A l'autre extrême, les adolescents sont moins conscients des algorithmes que les jeunes adultes mais largement plus que les personnes âgées (31% d'absence totale de conscience entre 15 et 19 ans vs. 61% chez les 60+ et 74% chez les 70+). 

Ces derniers mois, une des questions qui revenait le plus fréquemment parmi les sollicitations des médias était la suivante: comment discuter avec un ami ou un membre de sa famille qui vous fait part de son enthousiasme pour une théorie du complot? On sait que le complotisme est fortement diffusé par les réseaux sociaux en ligne.  Peut-être la méconnaissance des algorithmes joue-t-elle un rôle dans ce phénomène? Si un usager voit défiler des messages complotistes sur son profit Facebook, il susceptible de considèrer ces informations comme représentatives des opinions de ses "amis" (et donc des personnes en qui il a le plus confiance). Il serait alors bienvenu d'éduquer cette personne en lui montrant que chaque fois qu'il ou elle clique sur une vidéo complotiste, de nouvelles vont apparaître (ceci est par exemple suggéré ici mais je n'ai pas de données quant à son efficacité). 

Dans le domaine du complotisme, on a pu constater que ces discours bénéficiaient plus des algorithmes que la version "officielle". C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la vaccination. Par exemple, les librairies en ligne Amazon ou FNAC donnent en priorité des contenus "anti-vax" lorsqu'on recherche le termes vaccination. Le même reproche a été fait au moteur de recherche de Google, même si cela semble avoir été résorbé depuis. Ceci s'explique sans doute par le fait que les informations anti-vax suscitent beaucoup plus d'intérêt et d'engagement de la part des utilisateurs que les discours scientifiques. 

Les algorithmes sont souvent rendus responsables de la prolifération d'infox ("fake news") sur internet. En effet, si les contenus informationnels qui nous sont proposés sont déterminés non pas leur qualité mais par leur propension à susciter des clics et des revenus publicitaires, ceux-ci peuvent contribuer à façonner des représentations totalement faussées de la réalité. 

Les informations auxquelles nous sommes confrontés dans notre environnement social sont nécessairement limitées. Elles ne peuvent nullement être représentatives de l'ensemble des informations disponibles sur un sujet donné. Par exemple, en tant qu'universitaire bruxellois, je suis confronté quasi-exclusivement à des personnes qui lisent sans problème ou qui ont accès à l'eau courante. Quand je lis que le taux d'analphabétisme en Belgique est de 10% ou que de nombreux Bruxellois n'ont pas aisément accès à l'eau courante, je suis fort surpris. Je peux toutefois assez aisément expliquer cela par mon milieu social relativement privilégié. En fait, je peux assez facilement "décoder" le mécanisme par lequel j'en viens à sous-estimer ces phénomènes. 

La difficulté, évidemment, avec les algorithmes, c'est qu'ils sont totalement obscurs. Quand bien même on serait vaguement conscient de l'existence de ces algorithmes, on ne sait pas comment est produite l'information qui nous est transmise. 

Si l'on a bien raison de s'inquiéter des algorithmes, et de leur obscurité, il importe de souligner que leur effet reflète une réalité bien plus fondamentale, ce qu'on appelle la "myopie métacognitive". De quoi s'agit-il? Nous sommes beaucoup plus préoccupés par la façon dont nous utilisons les informations dont nous disposons pour prendre des décisions ou faire des jugements que par l'origine de ces informations. 

Prenons le cas d'un comité de sélection: ses membres seront souvent très sensibles à faire en sorte que les décisions qu'ils opèrent sur base des candidatures soient aussi équilibrées et justes que possible. En revanche, ils seront sans doute moins sensibles à l'origine de ces informations. Par exemple, au fait que l'information sur laquelle ils se basent a fait l'objet d'une synthèse par l'un des rapporteurs et que celui-ci peut avoir filtré certaines informations présentent dans le dossier de candidature. Ou le fait que les lettres de recommandation, ne soient pas représentative de l'ensemble des avis des personnes qui connaissent le candidat. Ou encore du fait que les notes obtenues lors du parcours scolaire ou universitaire des candidats dépendent du niveau de difficulté de celui-ci. Tous ces éléments sont susceptibles de biaiser la décision finale même si celle-ci est prise sur une base parfaitement rationnelle à partir des informations disponibles. 

Un collègue que j'admire beaucoup, Klaus Fiedler, a montré combien cette myopie métacognitive pouvait influencer toute une série de jugements. Les informations dont on dispose pour prendre une décision dépendent non seulement de notre exposition à ces informations mais de la mémoire que l'on a conservé de celles-ci. Et bien sûr, aussi bien l'exposition que la mémoire sont sélectives. Dans le domaine de l'exposition, je vois par exemple très rarement des personnes qui ont des difficultés d'accès à l'eau courante. Dans le domaine de la mémoire,  on se souvient (par exemple) plus aisément d'événements surprenants et ceux-ci sont plus à même de colorer notre jugement que des événements habituels mais moins frappants. Exposition et mémoire contraignent donc les informations sur base desquelles nous pouvons prendre des décisions ou effectuer des jugements. 

Pour prendre un exemple d'actualité, les cas de personnes vaccinées anti-Covid qui ont ensuite des problèmes de santé (fussent-ils sans rapport avec la vaccination) seront beaucoup plus médiatisés, et attireront beaucoup plus l'attention, que les cas dans lesquels tout se passe bien. 

Dans un autre registre, nous avons pu montrer que lorsqu'on est exposé à des informations que l'on sait fausses à propos d'un criminel potentiel (on informe le sujet que le témoin en question ment), celles-ci colorent malgré tout notre jugement ultérieur du prévenu. C'est même vrai chez des juges professionnels. Pourquoi? Parce qu'au moment de juger de sa culpabilité, ou de la peine qu'il faudrait lui infliger, nous ne prenons pas suffisamment en compte le fait que parmi les nombreuses informations que nous avons reçues, certaines étaient fausses. En d'autres termes, nous utilisons les informations que nous avons en mémoire mais en négligeant leur origine, somme amenés à juger le prévenu de façon injuste. Même quand on sait que des "fake news" sont fausses, elles peuvent donc influencer nos jugements ultérieurs. 

Cette myopie méta-cognitive nous rend donc particulièrement vulnérables aux algorithmes: même si on sait qu'ils existent (ce qui, comme nous l'avons vu, n'est pas le cas de tout le monde), on ignore commet ils façonnent notre "écoystème informationnel" et, plutôt que de se demander d'où viennent les informations auxquelles nous sommes exposés, nous nous demandons comment les utiliser pour prendre des bonnes décisions ou former des opinions valides (dans le meilleur des cas). Malgré toute notre bonne volonté, ces décisions seront inévitablement biaisées par le caractère éminemment sélectif des informations que Google, Facebook ou autres auront bien voulu nous donner. 



lundi 7 décembre 2020

Que révèle le succès des thèses complotistes pendant l'épidémie de Covid-19 ? Entretien sur France Info

 J'ai été longuement interviewé pour France Info sur les théories du complot liée à la pandémie de Covid. L'entretien est disponible ici


 



dimanche 22 novembre 2020

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 19): Ne dites pas "anti-vax" mais "hésitants vaccinaux"


Alors que se précise la perspective d’un vaccin anti-Covid19, on s’inquiète – légitimement – de la disposition de la population à se faire vacciner (le vaccin ne sera pas obligatoire),  notamment lorsqu’on lit des sondages comme celui-ci, suggérant qu’une proportion importante de la population ne souhaite pas se faire vacciner. Il est tentant de désigner les personnes qui refuseraient de se faire vacciner comme des « antivax » et de voir leurs réponses comme reflétant l’influence d’un mouvement « anti-vaccins », qui en serait responsable. On voit du reste souvent dans les médias des titres alarmistes sur les dangers que fait peser le mouvement antivax sur la santé publique (comme ici, par exemple) 

Avant de poursuivre, notons qu’il est bien tentant, dans une période de crise et d’inquiétude sanitaire comme la nôtre de stigmatiser les «méchants » qui menaceraient la santé publique. Cela nous permet de paraître, à bon compte, pour vertueux, solidaires et responsables. Si je suis le premier à reconnaître les dangers de discours complotistes, je dois également admettre que ceux qu’on désigne comme tels sont des boucs émissaires bien commodes. 

Stigmatiser les antivax nous confronte à deux écueils. Premièrement, la plupart des gens qui ne souhaitent pas se faire vacciner n’ont pas une opposition de principe à la  vaccination. Leurs réticences concernent souvent un vaccin spécifique. Par exemple, pour la COVID-19, les réticences pourraient s’expliquer par la crainte que le vaccin n’ait pas été suffisamment testé ou par la conviction que la maladie est, pour la plupart, bénigne 
 
Par ailleurs, ce sont souvent des personnes qui n’ont pas de position radicale sur ce thème. Elles hésitent. Traiter les réponses dichotomiques à une enquête comme le reflet d’une opinion arrêtée est une erreur. Les réponses de gens à des enquêtes ne reflètent pas nécessairement leur comportement face (par exemple ) à un médecin, qui pourra souvent vaincre les hésitations.  

Donc, les personnes qui ont ce genre de doutes ne sont pas toujours des adeptes de vastes théories du complot sur la collusion du « Big Pharma » avec les politiques et les médias (par exemple).  C'est pourquoi il est souvent plus approprié de parler d'hésitation vaccinale que d'anti-vax (un terme qui, très probablement, ne désigne qu'une minorité des personnes déclarant ne pas être prêtes à se faire vacciner dès qu'un vaccin anti-covid sera disponible). 

Il en va du même des mouvements qui s’opposent à la vaccination. Par exemple, dans le cadre de l’épidémie d’H1N1 en France (qui a donné lieu à une campagne de vaccination catastrophique – 8%, en dépit de moyens colossaux), les acteurs publics qui s’opposaient à la vaccination contre cette grippe provenaient d’horizons forts différents. Certains s’étaient battus contre toutes formes de vaccination depuis de longues années mais pour d’autres ce combat s’ancrait dans un mouvement plus large (par exemple de nature écologiste ou ancré dans les médecines douces). Certains étaient même globalement favorables à la vaccination. Désigner les personnes qui ne souhaitent pas se faire vacciner comme des « antivax », en les assimilant à des complotistes jugés irrationnels, est donc la meilleure façon de polariser l’opinion de ces personnes. Et de même, rien de tel pour fédérer différents mouvements hostiles à un vaccin que de les assimiler à une même mouvance « antivax ».  Comme souvent en sciences sociales, la nuance est non seulement  une exigence intellectuelle mais elle a une valeur pragmatique. 
 
Sur ce sujet, je conseille vivement les articles du sociologue Jeremy Ward et notamment celui-ci. Ce billet lui doit beaucoup.  

 

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Episodes précédents: 



mardi 17 novembre 2020

Psychologie sociale du coronavirus (Episode 18): Comment répondre à une·e ami·e ou un membre de votre famille séduit·e par "Hold-Up"? (ou par une théorie du complot)

Comment répondre à un·e de vos ami·es ou membre de votre famille qui vante les mérites du film Hold-Up, documentaire complotiste sur la gestion de la pandémie Covid-19? C'est une question qui m'est souvent adressée ces derniers jours et à laquelle j'ai essayé de répondre sur twitter. Vu l'intérêt suscité par ce fil, je le reproduit et le développe ici. Voici quelques idées (même si leur efficacité dépend de la personne à qui on s'adresse, bien sûr) .  


Premièrement, je suppose ici que votre objectif est d'amener cette personne à se montrer sceptique par rapport au film. Vous souhaitez aussi si possible rester en bons termes avec elle! Je signale aussi que, si la personne en question est fortement impliquée dans des groupes "complotistes" et ait développé une identité forte par rapport à ces questions, il y a peu d'espoir qu'un échange s'avère fructueux. Dans ce cas, je pense préférable de changer de sujet! Le type de dialogue que je propose est plus susceptible de présenter un intérêt avec des personnes qui sont interpellées par le discours véhiculé par ce type de documentaire sans pour autant y adhérer de façon inconditionnelle. 


Ces préalables étant posés, voici quelques petites choses qu'il ne me semble PAS judicieux de faire : 


1. Accuser la personne de complotisme

2. Lui envoyer d'emblée un lien démontant le film en qualifiant celui-ci de votre nom d'oiseau préféré.


Bref, "Don't be a dick!" ('ne soyez-pas un enfoiré") comme dit le sceptique Phil Plait dans cette vidéo


Alors, que faut-il faire? 


1. Regarder le film...Je sais, ça dure 2h40 et ça peut être pénible... mais tout ce qui suit perd dangereusement de sa crédibilité si vous ne vous soumettez pas à ce qui peut faire figure de supplice. Il est facile à trouver...


2. Dans la mesure du possible, organisez-vous pour pouvoir échanger de vive voix. L'écrit facilite la polarisation du discours et les malentendus, qui peuvent être immédiatement résolus oralement (je pense n'avoir jamais vu un différend se régler sur Facebook ou twitter par exemple). 


3.Commencez par créer un terrain d'entente commun en reconnaissant que la pandémie n'a pas toujours été bien gérée et qu'on peut s'interroger sur les motivations et la compétence de certains acteurs de cette gestion. De même, si, vous aussi, vous n'avez pas une confiance totale en certains acteurs de l'industrie pharmaceutique, n'hésitez pas à le faire savoir. L'adhésion à une théorie du complot répond souvent à un sentiment d'incertitude, d'anxiété, voire de détresse. Il importe de reconnaître ce ressenti, voire de le partager, s'il correspond au vôtre. Souvent, cette étape est même plus importante que toute tentative de répondre rationnellement aux arguments de la personne concernée. 


4. Le documentaire repose sur ce que le sociologue Gérald Bronner appelle un mille-feuilles argumentatif (un ensemble d'arguments faibles qui collectivement donnent l'impression que "tout ne peut pas être faux"), demandez-leur de sélectionner le fait ou l'argument qui les convainc le plus et pourquoi. Partagez votre opinion sur celui-ci (ou admettez votre ignorance) et décortiquez ensemble les sources correspondantes.) Le documentaire suppose que des intérêts financiers expliquent la gestion désastreuse de la pandémie et le travestissement de la vérité à son sujet. Demandez-leur de se renseigner sur les revenus générés par le documentaire (voir le fil twitter de Tristan Mendès-France à ce sujet) et d'expliquer pourquoi il n'en serait pas ainsi pour les producteurs du documentaire également. 


5. Pour faire part de vos impressions sur le documentaire: faites-savoir que vous avez entendu des choses bien différentes. EXPLICITEZ CES CHOSES et n'affirmez pas de façon péremptoire que ce que vous avez entendu est la vérité vraie, l'idée est juste de faire réfléchir votre interlocuteur en lui proposant un récit différent.


6. Si vous partagez des liens vérifiant les affirmations faites dans le documentaire (comme celui-ci), ne les présentez pas comme une "vérité" mais demandez-leur de le lire attentivement et de faire savoir ce qu'ils en pensent.S'ils le disqualifient dans leur ensemble (parce que, par exemple, le média est financé par telle ou telle multinationale ou milliardaire), je suggérerais de discuter d'un point particulier du "démontage" & de voir si d'autres sources, plus dignes de confiance, le corroborent.


7. Cette démarche peut, dans le meilleur des cas, montrer qu'on ne croit pas à la thèse du documentaire parce que les arguments qu'il défend sont convaincants et nous révèlent une vérité jusque-là insoupçonnée mais parce qu'ils confortent des convictions que nous avions préalablement.


Cela permettra alors de conclure que le désaccord porte moins sur des faits objectifs que sur un ressenti différent par rapport à la gestion de cette pandémie. L'adhésion à ce type de théorie ne repose pas nécessairement sur une motivation à l'exactitude mais vise à conforter son vécu ou une conviction profondément ancrée et qui organise notre rapport au monde. Souvent, pour les personnes adhérant à des "théories du complot", le complot exprime une vérité plus profonde que les faits qui l'étayent. Montrer que tel ou tel fait étayant le complot est "faux" ne remet pas en cause la conviction, fermement ancrée, que "les élites nous manipulent" ou "nous cachent plein de choses pour s'en mettre plein les poches". Reconnaître et accepter cela est déjà un pas en avant. 



Sources:


Les idées proposées ici sont inspirées notamment d'interventions de collègues comme Sylvain Delouvée, Vincent Yzerbyt et Nathan Uyttendaele ainsi que de recherches (résumées ici)



Episodes précédents: 


 






vendredi 6 novembre 2020

Psychologie sociale du Coronavirus (épisode 17): Pourquoi tant de gens n'adhèrent-il·elles pas aux mesures anti-COVID?

J'ai été récemment interviewé sur le complotisme lié à l'épidémie de Covid-19 pour l'émission "On n'est pas des pigeons" (RTBF). J'avais longuement préparé mes réponses...et j'ai constaté que mon intervention avait été coupée au montage. L'émission est disponible ici et est très bien (même s'il ne reste que quelques bribes de mon intervention!). 

Pour ceux et celles que cela intéresse (apparemment, il y en a certain·es), voici ce que j'avais préparé (et dit en grande partie). La plupart de ces points sont développés dans d'autres billets de ce blog. 

- Peut-on expliquer la résurgence de la pandémie par un moins grand suivi des mesures chez l’ensemble des Belges ?


- Je ne suis pas épidémiologiste. Une chose toutefois est importante à prendre en compte : une augmentation moyenne des infections ne s’explique pas nécessairement par des changements de comportement dans la population. Elle peut s’expliquer par des changements dans des sous-groupes ou des « clusters » (par exemple le rôle de la rentrée universitaire). Il est donc possible que la plupart des Belges aient montré le même niveau d’adhésion aux mesures que précédemment et que malgré tout la diffusion du virus se soit envolée. 

- Ceci étant dit, on voit une chose intéressante dans le baromètre de l’université de Gand : suite à la conférence de presse du CNS le 23 septembre, il y a eu une baisse de la motivation à suivre les mesures (voir ci-dessous). Or, cela coïncide assez bien avec la reprise de la pandémie dont on voit les conséquences quelques semaines plus tard. Le message de l’assouplissement des mesures était clairement que la situation était sous contrôle et qu’on pouvait laisser la pression. 

- Par ailleurs, il importe de prendre en compte que la seconde vague est un phénomène européen et que les mesures prises en Belgique n'expliquent qu'une partie de l'évolution de la pandémie en Belgique. 
 
- Pourquoi voit-on de nombreuses personnes ne pas suivre les mesures ? 

J’aimerais souligner les éléments suivants (il y en a d'autres, mais je me centre ici sur des facteurs psychosociaux, c'est-à-dire lié à des appartenances collectives, et pas seulement intra-individuels): 

1. Sur base d’une des études les plus complète sur le sujet (menés au R-U), le principal facteur explicatif d' une adhésion prolongée aux mesures semble être la confiance en les autorités qui édictent ces mesures. Dans les études dont j'ai pu prendre connaissance, c’est la confiance en la compétence du gouvernement britannique qui était déterminante. C’est relativement normal : des mesures ne peuvent sembler légitimes que si ceux qui les édictent sont perçus comme compétents.  Or, les données dont on dispose aujourd’hui suggèrent que les niveaux de confiance dans le gouvernement fédéral sont assez faibles en Belgique. On peut supposer que différents « couacs » dans la gestion de la pandémie ont contribué à cela. 

2. Lorsque la confiance n’est pas là, on se retourne vers d’autres sources d’informations et ce d’autant plus que nous sommes dans une situation d’incertitude, anxiogène. C’est à ces moment-là qu’on recherche le plus des réponses. A cet égard, une multitude d’agents nous proposent des sources  proposent des interprétations alternatives de la situation actuelle. Parmi celles-ci, des experts et d’autres qui le sont moins. Il est difficile dans cet océan d’informations de savoir vers qui se tourner, d’autant plus que – comme c’est normal dans le domaine scientifique, les experts ne sont pas tous du même avis. Selon certains, les mesures sont beaucoup trop fortes et une approche plus « light » ferait l’affaire. Certaines perspectives virent carrément dans le complotisme en considérant que la pandémie ou les mesures qui les accompagnent ne constitueraient qu’un stratégème pour aliéner les masses ou s’enrichir. 

Certains de ces discours alternatifs sont souvent doux à nos oreilles. Parce qu’ils légitiment de pouvoir assouplir notre mode de vie fort contraint par ces mesures. Et c’est bien compréhensible : si mon gagne-pain est mis à mal par ces mesures, tout discours qui les remet en cause sera attirant. Par ailleurs, certains discours plus extrêmes sont valorisants à d’autres titres : en nous faisant passer pour des êtres éclairés et non pas des moutons suivant béatement le troupeau, en nous donnant un rôle d’acteur (« ne vous laissez pas faire », « protestez » affirment ainsi certains complotistes). Cette idée est développée dans ce billet-ci

3. Il importe de souligner que ces discours ne sont pas des « ovnis » isolés. Ils sont portés par des amis, des membres de notre famille, des connaissances, des associations, des groupes de pression ou simplement des communautés en ligne. Se ranger à ces discours, c’est aussi trouver du soutien social, être valorisé par d’autres, se sentir membre d’un groupe. Par exemple, sur internet, cela peut se traduire pas des likes, des demandes d’amitiés, etc. Très précieux quand le (pseudo)confinement nous isole !  

4. Ce type de phénomène est amplifié par les réseaux sociaux qui tendent d’une part à nous proposer des contenus qui confirment nos croyances, dès lors qu’ils correspondent à ce que l’on a regardé précédemment. Par ailleurs, les RS permettent à des gens qui partagent des attitudes communes de se retrouver, de se mettre en contact, et donc de renforcer leurs attitudes mutuellement. 

5. Enfin, il importe de bien prendre en compte que respecter les mesures implique des coûts importants et que le choix de s’y plier ou non dépend en partie de la façon dont on appréhende le calcul « coût-bénéfice ».  Imaginez la situation suivante : vous avez le choix entre deux possibilités :

- Soit voir un ami ou une amie pour qui vous savez que votre présence est importante, pour partager un chagrin, une joie. Vous êtes sûr que ce moment vous fera du bien à tous les deux. 
- Soit ne pas le voir en vous disant qu’il y a une possibilité que vous transmettiez le virus ou soyez infecté·e. Ceci par contre est peu probable. Même si c’est possible, une personne asymptomatique a peu de chances d’être porteuse du virus et contagieuse.

Vous devez donc choisir entre un bénéfice certain et un coût incertain (voir ce billet, où je développe cette idée). 

- C’est difficile dans ce type de situation de faire le « bon choix », au nom de protéger quelque chose d’aussi abstrait que « les gens à risque » ou « les hôpitaux ». A mon avis, ce simple calcul et cette différence entre la certitude d’un choix et l’incertitude d’un autre explique en grande partie le fait que de nombreuses personnes ne respectent pas les mesures. Pour faire face à cela : nécessaire de formuler ce choix non pas au niveau individuel mais au niveau collectif : qu’est-ce que ça nous coûte et non pas qu’est-ce que me coût que de réduire mes contacts ? Là, la balance penche beaucoup plus en faveur d’une réduction des contacts sociaux. Message important : l’opposition entre les intérêts individuels et collectifs est absurde ici. L’intérêt individuel passe par le collectif. 

6. Sentiment de victimisation collective : Certains groupes peuvent aussi se désolidariser des mesures parce qu’ils se sentent abandonnés ou laissés pour compte et ont le sentiment que leurs préoccupations sont niées. Chez certains jeunes, on a pu ainsi voir un discours du type (« ces mesures sont faites pour ennuyer les jeunes »), idem dans les banlieues en France (nous enfermer, ça permet au flics de mieux nous surveiller"). Ce type de ressenti peut être accentué par le sentiment que les mesures sont prises de façon « top down » sans réelle concertation avec le sous-groupe concerné. Par ailleurs, comme nous l'avons montré dans un article récent, le sentiment de victimisation collective favorise l'adhésion au complotisme (surtout chez les gens fort identifiés à leur communauté). Ce sentiment renforce l'appartenance à des groupes subordonnés. Or c'est l'identification à l'ensemble de la communauté qui permet de renforcer la solidarité (voir ce billet-ci à ce sujet). 

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Episodes précédents: 


samedi 24 octobre 2020

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 16): le dilemme infernal et l'exponentielle



Dans l'Echo de ce matin, une étudiante liégeoise explique pourquoi elle ne prend pas de mesures particulières pour se protéger du virus : celles-ci ont été édictées pour pénaliser les jeunes, elle ne voit que ses "potes", ils sont peu à risque, restent entre eux, et ceux qui ont déjà contracté la maladie n'ont eu que des formes bénignes.

Voilà le type de raisonnement qui explique (en partie) pourquoi Liège est une des villes les plus touchées d’Europe. Pour infondé qu’il soit d’un point de vue médical, le raisonnement de cette jeune femme est une réponse à un dilemme auquel nous sommes tous et toutes confronté·es dès lors que se présente la possibilité de passer un peu de temps avec autrui. 


Versant A : En entrant en contact avec autrui, je peux potentiellement transmettre le virus (ou inversement). Cette transmission peut potentiellement toucher des personnes à risque. Celles-ci peuvent potentiellement voir leur santé se dégrader et contribuer à la surcharge des hôpitaux. Cette chaîne infernale repose sur de nombreux « potentiellement » et chacun de ces risques, considéré isolément, est relativement faible. Peu de personnes asymptomatiques portent le virus. Parmi celles-ci, toutes ne sont pas fortement contagieuses. Et quand bien même le virus se transmettrait, un optimiste peut nourrir l’espoir que la chaîne de transmission qui est la sienne s’interrompe avant de susciter des dégâts (grâce à la quarantaine ou aux mesures barrière). 


Versant B: En entrant en contact avec autrui, un·e proche, un·e parent, un·e·amie, voire une relation professionnelle, je peux obtenir une gratification importante pour l’un·e d’entre nous (ou les deux). Partager une joie ou un chagrin, une transaction mutuellement bénéfique,  célébrer une date d’anniversaire, une bonne tranche de rigolade ou plus si affinités. L’issue de la rencontre n’est peut-être pas absolument certaine mais on n’en est souvent pas loin. Je sais par exemple que si je vais jouer au poker avec un groupe d’amis (toujours le même), les chances que je partage un bon repas et me change diantrement les idées après une semaine de boulot intense sont très élevées et le sont certainement bien plus que le risque de diffusion du virus. 


En d’autres termes, le dilemme appliqué à une rencontre avec un contact jugé comme important n’en est pas un : d’un côté, j’encours un risque qui semble subjectivement très faible (pourvu que personne n’ait de symptôme). D’un autre, je gagne un bénéfice qui semble quasiment certain. 


Du point de vue de l’individu amené à décider si oui ou non, il décide d’entrer en contact avec son partenaire, le choix peut sembler évident. C’est le raisonnement que suit l’étudiante liégeoise. Notre tendance est souvent d’approcher ce type de dilemme un à un. Cette approche à court terme se soldera sans doute très souvent par la décision la plus bénéfique au virus. 


En réalité, c’est la multiplication de tels choix par un même individu et, au sein d’une population, par plusieurs individus, qui transforme un choix rationnel à un niveau individuel en une catastrophe sanitaire. Si les risques ne sont que d’évanescentes potentialités pour l’individu, ils deviennent des réalités bien tangibles au niveau d’une ville, d’une région ou d’une nation en termes de couloirs d’hôpitaux encombrés, d’ infirmiers et d’infirmières dépassés, de morts à enterrer, etc. La mécanique infernale de la transmission et la loi exponentielle qui la caractérise y veillent.


C’est aussi pourquoi parier sur la responsabilité individuelle, comme l’a fait le comité de concertation hier matin, est un choix très périlleux. Au niveau individuel, le dilemme que je viens de décrire favorisera très souvent le contact, aidé en cela par des justifications plus ou moins teintées de mauvaise foi (« nous porterons un masque », « on se lavera les mains », "on meurt plus de solitude que du virus" , "il y a d’autres problèmes sur terre que le coronavirus"…)


Même si de nombreuses mesures permettraient de contribuer à rendre notre environnement moins propice à la propagation du virus (augmenter les cadences de transports en commun par exemple) plutôt que de cibler uniquement l’individu, force est d’admettre que les restrictions à la liberté individuelle, pour détestables qu'elles puissent paraître, semblent être un impératif nécessaire dans ce contexte très particulier. Selon la logique utilitaire du dilemme infernal, il importe que le coût de la rencontre soit plus élevé pour rendre le choix moins aisé. Si le contact en question implique d’enfreindre délibérément une loi, on y sera peut-être plus sensible. En outre, comme je l’expliquais dans un billet précédent, une loi (ou un arrêté) a valeur de norme sociale, un des plus puissants moteurs (ou freins) du comportement. 


Mais plus fondamentalement, je suis convaincu que, pour vaincre cette pandémie, il importe que chacun ne formule pas ce type de choix au niveau individuel, mais à un niveau collectif. Qu’est-ce que cela nous apporte et nous coûte que de garder des contacts physiques avec des personnes extérieures à notre « bulle »? Formulé de cette façon, le dilemme penche clairement pour une restriction des contacts. J’ai le sentiment, étayé en partie par les données du baromètre de l’Université de Gand, que de nombreux Belges étaient prêts à adopter cette perspective et accepter des mesures plus dures. En proposant un menu allégé, le comité de concertation a laissé entendre que le pouvoir politique n’était pas prêt à incarner un pays solidaire et prêt à faire des sacrifices. Or, c’est essentiel pour vaincre cette pandémie.

***

PS: Un commentaire  de mon collègue de l'UCLouvain, Vincent Yzerbyt, qui complète utilement ce billet (et auquel je souscris totalement): 

"Comme j'ai eu l'occasion de le dire à maintes reprises dans divers médias, la liberté individuelle ne peut, dans le cas d'espèce, s'envisager sans un cadre collectif. De même, imaginer de se déplacer en voiture de façon 'libre' sans un code de la route relève du déni pur et simple des risques inhérents à un trafic comme nous le connaissons. Les gens opposés au port du masque pensent-ils vraiment qu'ils ne s'arrêteront jamais à un feu rouge par pur souci de l'affirmation de leur liberté individuelle, prétendument non-négociable. Ceci étant, la recherche suggère qu'il faut idéalement mettre les intérêts individuels au diapason du collectif, et je pense qu'il est légitime de dire que le comité de concertation a essayé de faire cela. Ce que nos dirigeants n'ont pas saisi, c'est que dès lors qu'une telle démarche s'avère fructueuse, il eut été précieux de proposer un durcissement des mesures que, du coup, tout le monde aurait accueilli favorablement. Une telle combinaison aurait définitivement permis de mettre en place des normes sociales puissantes susceptibles de nous épauler dans la lutte contre la pandémie"

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lundi 8 juin 2020

Psychologie sociale du coronavirus épisode 15: L'enfer du racisme est parfois pavé de bonnes intentions

Hier, 10.000 personnes ont manifesté à Bruxelles contre le racisme et les violences policières à l'encontre des personnes de couleur, en hommage à George Floyd. Etant profondément préoccupé par cette problématique (la question des stéréotypes, préjugés et discrimination entre groupes fait l'objet d'une grande partie de mes travaux), je me réjouis que cette cause suscite une telle mobilisation. Je m'interroge toutefois sur l'opportunité d'autoriser cette manifestation, pour les raisons suivantes:

- Au vu des photos, et de l'affluence, la manifestation viole nécessairement les règles que le gouvernement à édictées la semaine dernière car elle ne permet pas de préserver la distance physique de1,5 m. "Les réunions de groupes sont restreintes à 10 personnes maximum, enfants compris" nous dit le gouvernement.  Certes la plupart des manifestants portaient des masques mais on n'a cessé de nous répéter que cela ne suffisait pas pour endiguer l'épidémie. Quand on sait qu'en Corée, une seule personne en a infecté des centaines lors d'une cérémonie religieuse, le risque d'un regain de l'épidémie en raison de cette seule manifestation ne semble pas négligeable. De même, le début de l'épidémie dans l'Est de la France semble avoir été dû à un rassemblement religieux près de Mulhouse en février.

- Je ne suis pas épidémiologue et peut-être que je me trompe et que le danger est limité. Mais même si c'est le cas, je crains que les personnes qui ont dû faire des sacrifices importants durant ces dernières semaines pour maintenir les règles de distance physique (je pense à la majorité des commerçants, aux artistes, à tous les travailleurs précarisés, ou travaillant au noir, qui n'ont aucun filet de sécurité, aux personnes âgées qui n'ont plus pu voir leurs proches et bien sûr au personnel soignant...), ne comprennent pas qu'une cause, fût-elle noble, justifie de bafouer les règles que l'on a imposées. Comme si la survie de leur activité, le maintien de leurs relations sociales, n'était pas également cruciaux. Même si des niveaux de pouvoir différents sont impliqués (ville de Bruxelles vs. Conseil National de Sécurité), le risque d'amalgame peut nourrir une impression que les autorités sont hypocrites.  Parmi ces personnes, le risque que certaines, mues par un sentiment d'injustice, perdent confiance en les autorités et se tournent vers des formations populistes ou d'extrême-droite (qui, déjà, utilisent la manifestation dans leur propagande et pour qui les magasins dévalisés hier sont du pain bénit), ne me semble pas mince. On sait que le sentiment d'injustice, de ne pas être traité "comme les autres", motive à se trouver vers des partis racistes.  Si ce scénario catastrophe se produit, l'effet de la manifestation aura été d'accentuer ce qu'on souhaite combattre.

- Plus généralement, de nombreuses personnes continuent à adopter des "gestes barrières" et autres comportements visant à freiner la diffusion de l'épidémie, ce qui peut entraîner des coûts importants pour leur qualité de vie ou leur portefeuille. Le risque n'est pas mince que l'autorisation de cette manifestation les mène à considérer comme légitime d'également se montrer moins regardants quant au respect de ces mesures. Après tout, pour la plupart des gens, de nombreuses préoccupations qui imposent des sacrifices "sanitaires" (travailler dans de bonnes conditions, voir ses proches...), sont aussi chères que la lutte contre le racisme. Deux mécanismes psychologiques peuvent être invoqués ici:
  • L'impact de ces manifestations sur la transformation des normes sociales: on sait que le comportement est fortement influencés par les normes sociales et "si les autres le font, alors ça veut dire qu'on peut le faire". 
  • Un effet de "rationalisation": lorsqu'on est motivé à faire quelque chose mais que cela entraîne un conflit par rapport à certains standards comportementaux, on est tenté de chercher des justifications permettant de concilier nos conduites et nos standards. C'est le fameux problème de la dissonance cognitive. Or, ici, ces manifestations permettent précisément de résoudre la dissonance: "je sais que ce n'est pas idéal de violer telle ou telle règle mais s'ils le font, je peux bien me le permettre". 

- Enfin, lorsque d'autres revendications sociales, tout aussi légitimes, se manifesteront, sur quelle base  pourra-t-on interdire d'autres manifestations? Les autorités seront dans une position impossible entre la contribution à un regain de l'épidémie et l'accusation d'hypocrisie, d'être à la solde de la "gauche antiraciste", etc.

Quoi qu'il en soit, si regain de l'épidémie, il y a, ce sont une fois encore les plus vulnérables qui seront les plus touché·es et parmi ceux-ci, les personnes racisées sont surreprésentées. Bref, je crains que nos George Floyd en soient les premières victimes.

Qu'aurait-il fallu faire? Je suis aussi scandalisé par l'assassinat de George Floyd et par les violences policières qui ont touché non seulement des Afro-Américains mais aussi, chez nous, des migrant·es, des réfugié·e·s (pensons à Semira Adamu, à la petite Mawda), et de jeunes "beurs" dans Bruxelles-même (comme Adil ou Mehdi). Mais n'y avait-il pas moyen d'exprimer son indignation d'une autre façon? N'a-t-on pas fait preuve de suffisamment d'imagination pendant le confinement pour trouver d'autres voies pour exprimer celle-ci?

Pour conclure, je tiens à souligner que mon propos n'est pas de stigmatiser les personnes qui se sont rendues à cette manifestation. Elles ont été fidèles à leurs idéaux et on ne peut que le respecter. C'est davantage la décision des autorités bruxelloises de l'autoriser qui m'interpelle.

PS (8/06 à 18H04): J'ai écrit ce billet ce 8 juin aux petites heures et découvert les réactions politiques ultérieurement. Comme tous les autres, il n'engage que moi. Le bourgmestre (maire) de Bruxelles a ultérieurement justifié sa décision en faisant part d'un équilibre entre la liberté d'expression, l'ordre public et la situation sanitaire, ce qui reste très vague. Une hypothèse avancée par certains commentateurs de ce billet était que ne pas autoriser la manifestation présentait un risque sanitaire plus grand dès lors que moins bien encadrée. Je n'ai toutefois pas de confirmation de cette hypothèse.

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samedi 23 mai 2020

Psychologie sociale du coronavirus (épisode 14): Peut-on faire confiance aux scientifiques?

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Si vous n'avez pas réussi à vous échapper sur une île déserte ces dernières semaines, vous avez très probablement été exposé·e aux propositions de Didier Raoult sur la valeur de la chloroquine dans le traitement du Covid-19, de Zahir Amoura, Jean-Pierre  Changeux et al. sur le caractère protecteur de la nicotine ou du Professeur Luc Montagnier, co-"découvreur" du virus du SIDA et prix Nobel, sur la structure du coronavirus, qui ressemblerait à celle du HIV (et serait dès lors une production humaine). Ces thèses, très contestables, ont été largement relayées dans les médias.


Lors de pandémies comme celle que nous vivons aujourd'hui, la recherche d'informations valides sur la façon de se prémunir du virus ou d'en guérir bat son plein. Nombreux sont celles et ceux qui recherchent des informations "scientifiques" dans l'espoir d'acquérir des connaissances fiables sur ce sujet. Les personnages cités précédemment sont parmi les plus respectés dans leurs domaines respectifs et relayer leur avis semble de bon aloi. Quoi de mieux pour savoir ce que dit "la science" que de leur donner la parole?

Mais quel discours écouter? La pandémie donne lieu en effet à une activité scientifique débordante. Il s'agit de comprendre l'identité biologique du virus, sa transmission mais également ses conséquences sur le comportement, sur l'économie, les méthodes de prévention, etc. 

A côté des nombreuses informations émanant de scientifiques surgissent un ensemble de discours provenant de citoyens divers n'ayant guère d'expertise particulière en épidémiologie et en virologie. Si certains de ces discours semblent parfaitement légitimes et dignes de foi, d'autres alimentent des idées fantaisistes et/ou complotistes et parfois de façon fort convaincante (voir à cet égard mon billet sur Jean-Jacques Crèvecoeur). 

Pour les médias, comme pour les citoyen·nes, il n'est pas toujours aisé de savoir à quelle information se fier. Certains repères connus semblent évanescents : pourquoi ne pas faire confiance aux médecins avant tout ? Connaissant la difficulté d'acquérir un diplôme de médecine et la formation scientifique rigoureuse que cela implique, cela semble un critère pertinent. Or, on sait que des médecins adhèrent à des croyances qui n'ont aucun fondement scientifique (l'homéopathie par exemple...). Et malheureusement, cela s'avère une réalité pour des sommités comme le Dr. Montagnier, qui a ardemment défendu le concept fantaisiste de mémoire de l'eau. La blouse blanche n'est donc pas toujours une garantie absolue de crédibilité. 

Autre critère possible : le fait que la recherche ait été menée dans des laboratoires ou par des chercheurs "légitimes" (travaillant par exemple dans des universités qui ont pignon sur rue ou sont prestigieuses) ? Malheureusement, ce n'est pas non plus un gage de qualité à toute épreuve. Le fait qu'une recherche soit menée  par des chercheurs universitaires ne rend pas ses conclusions incontestables. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne le Covid-19, qui a donné lieu à une "pandémie" d'articles en tous genres, dont la qualité est fort variable. Pour faire face à la pandémie (virale), il semble que de nombreux chercheurs se soient empressés de mener des recherches sur le sujet et de diffuser leurs résultats, en étant souvent moins rigoureux qu'ils ne pourraient l'être. Nombre de ces articles ne sont disponibles que sur des dépôts publics de "preprints" (comme MedrXiv), sur lesquels tout chercheur peut déposer sa production. 

Quel critère de légitimité dans ce cas? Dans le monde scientifique, ce qui asseoit la crédibilité d'une recherche est le fait qu'elle fasse l'objet d'une publication. Pourquoi? Pour le savoir, il faut se pencher sur l'itinéraire d'un article scientifique. Un article scientifique (empirique) a une forme standardisée: il décrit l'itinéraire d'une recherche: pourquoi elle a été menée (introduction), comment (les méthodes), avec quels résultats et quelles conclusions on peut en tirer (discussion). Premièrement, à l'entrée, le processus est parfaitement démocratique: toute personne est libre d'envoyer un article dans la revue de son choix. Cet article, s'il s'inscrit dans le champ d'expertise de la revue et ne semble pas entaché de faiblesses trop importantes aux yeux du rédacteur·trice en chef de la revue, est transmis à des experts du domaine qui en font une évaluation souvent sans concession. Ce processus se fait généralement en double aveugle (l'identité des auteurs n'est pas révélée aux experts et vice versa) dans le souci que l'article soit évalué sur ses mérites et non sur base de considérations extérieures (rivalités, conflits d'intérêts, sentiments vis-à-vis des auteurs, peur de sanctions si on émet un avis négatif...). Dans la plupart des cas (en ce qui concerne les revues les plus prestigieuses), il sera rejeté (dans mon domaine, la psychologie sociale, les revues les plus prestigieuses ont des taux de rejet de plus de 90%). Scénario le plus optimiste: il sera renvoyé aux auteurs avec demande de révisions sur base des commentaire des experts. Une révision sera transmise. Celle-ci peut être rejetée si les réponses sont jugées insuffisantes (rien de plus frustrant pour les auteurs, croyez-en mon expérience!). Elle peut être acceptée ou faire l'objet de nouvelles demandes de révision et ainsi de suite. Bref, publier est un vrai parcours du combattant (ou de la combattante). C'est aussi un processus qui demande un délai relativement important et difficilement conciliable avec les demandes de réponses rapides qui nous sont faites aujourd'hui. 

Le processus de publication scientifique est extrêmement sélectif. S'il est loin d'être parfait, il garantit que la qualité moyenne des articles publiés dans des revues sérieuses soit infiniment meilleure que celle des articles diffusés sur des dépôts publics comme MedXiv. Jusqu'à très récemment, la pratique consistant à déposer des articles  ("preprints") sur des dépôts ouverts de ce type avant expertise n'était pas commune dans la plupart des disciplines scientifiques et en particulier biomédicales (elle l'est en physique par exemple). 

Mais, face à l'urgence, elle a augmenté sensiblement (de près de 400% en un an alors que les consultations ont été multipliées par 100 selon cet article!). Par ailleurs, la qualité des études proposées semble souvent très faible (pas de groupe contrôle permettant d'établir si l'effet du traitement supposé efficace ne pourrait s'expliquer simplement par le temps ou par le mode de vie habituel des sujets).  Or, ces sites ne sont plus consultés uniquement par des scientifiques : des non spécialistes, lisant l'abstract (résumé) peuvent être aisément séduits par des affirmations fort audacieuses, comme celle du Prof. Amoura et ses collègues sur l'effet de la nicotine (précisément diffusé sous forme de preprint et extrêmement faible d'un point de vue méthodologique). Cette frénésie s'explique en partie par le fait que des budgets de recherche - qui sont d'ordinaire souvent si maigres- ont été libérés en toute urgence pour faire face à la crise. 

Comment, dans ces conditions distinguer le bon grain de l'ivraie? 

Dans certains cas, une lecture attentive de l'article permettra de détecter des faiblesses - même pour le·la non spécialiste. Par exemple, l'absence d'un groupe contrôle est une faiblesse criante dans une étude portant sur l'efficacité d'un traitement. En ce qui concerne l'effet de la nicotine, la conclusion des auteurs était basée sur le fait que des personnes se déclarant "fumeuses" avaient moins de chance de développer le Covid-19 que les autres. Mais bien sûr, cela peut être dû à de nombreux autres facteurs: par exemple, les personnes malades du Covid ont peut- être craint de révéler qu'elles fumaient de peur de ne pas avoir accès à une unité de soins intensifs. Les professionnels de la santé (qui constituaient la plupart des patients) étaient peut-être réticents à révéler qu'ils fumaient, etc. 

Un élément essentiel à mon sens est de ne pas se fier uniquement au "pedigree" de la source. C'est précisément par le caractère impersonnel du processus de publication (même si c'est un idéal), et à travers le processus collectif de filtrage, de détection des erreurs éventuelles et d'amélioration sur lequel repose le processus de publication, qu'un savoir peut acquérir une crédibilité véritablement scientifique. Bref, des résultats évoqués seront d'autant plus dignes de confiance qu'ils auront fait l'objet d'une publication dans une revue sérieuse. Si ces résultats sont ensuite corroborés par des reproductions réussies et également publiées, nous pourrons renforcer encore notre confiance. Ainsi concernant l'effet de l'hydrochloroquine, les déclarations du Dr. Raoult ont pu être mises à mal par la publication récente dans The Lancet d'un article expertisé et présentant une série d'études remettant clairement en cause son efficacité. Ce n'est peut-être pas le dernier mot de l'histoire mais étant donné l'ampleur et la rigueur du travail présenté dans cet article, on peut difficilement à ce jour considérer l'hydrochloroquine comme un traitement efficace contre la Covid-19. 

Bien sûr, rien n'est parfait et la publication dans une revue au nom ronflant ne garantit pas à 100 % la qualité des savoirs. 

Pourquoi? 

La première raison réside tout simplement dans le fait que la science est par définition en évolution constante et que l'on acquiert des savoirs en remettant en cause ce qui, dans le passé, pouvait s'apparenter à des évidences. C'est ce caractère mouvant des savoirs scientifiques qui les distingue le plus clairement de l'Evangile ou de toute parole idéologique. 

Mais d'autres éléments incitent à la prudence par rapport à des résultats publiés. Ainsi, il existe toute une série de revues dont les standards sont extrêmement faibles, voire qui ont un objectif purement commercial (elles font payer les auteurs pour leur publication sans pour autant garantir le processus d'expertise décrit précédemment, voir une liste - non à jour - de ces revues ici). Les chercheur·e·s d'un domaine peuvent aisément identifier ces revues mais ce n'est pas nécessairement le cas pour des journalistes ou des "citoyens lambda". En l'occurrence, la revue dans laquelle a été publié l'article sur le lien HIV-Coronavirus était précisément une revue de ce type. Dans le domaine biomédical, il est possible de se fier à des bases de données comme Pubmed, qui reprend une liste de revues sérieuses. 

Et même dans ces revues, il peut y avoir des "couacs". Malgré le processus d'expertise, on peut constater des erreurs, voire, dans des cas exceptionnels, des fraudes. Si celles-ci sont découvertes, cela peut donner lieu au retrait des articles concernés (cela a été le cas de plusieurs articles en lien avec le covid). 

Autre problème: les revues scientifiques sérieuses sont souvent difficilement accessibles car les abonnements sont hors de prix. Il en résulte que les medias n'y ont souvent pas accès ou ont seulement la possibilité de lire des abstracts (résumés). Ceux-ci ne permettent pas d'identifier les faiblesses de l'étude - quand bien même les journalistes auraient le temps et les connaissances nécessaires pour les décortiquer. Cela justifie le recours à des dépôts de preprints gratuits. Et de ce point de vue, ceux-ci permettent un accès "démocratique" à la science. Mais il est alors fondamental de pouvoir distinguer les articles ayant fait l'objet d'une expertise de ceux qui ne l'ont pas fait. 

En conclusion, malgré ses limites, le processus de validation par les pairs est ce que nous avons de mieux. Alors qu'une frange importante de la population se met à douter de faits scientifiques incontestables - comme l'importance de la vaccination, il est plus que jamais fondamental d'être prudent dans l'usage qui est fait de la parole scientifique. Comme le suggère l'image ci-dessus, il faut rester calme et laisser à la science le temps de faire sont travail.