(une carte blanche au nom du groupe psychologie et corona publiée le 17/12 dans l'Echo. Je la partage ici vu les difficultés d'accès pour certains).
Après un Noël inhabituel, l’année nouvelle débutera avec le lancement d'un programme de vaccination visant à nous libérer de l'emprise du coronavirus. Son déploiement représente un énorme défi logistique. Cela prendra de longs mois et tout le monde ne pourra pas se faire vacciner en même temps.
En outre, les données récentes du baromètre de motivation de l’Université de Gand, en collaboration avec l’UCLouvain et l’ULB, montrent que 56% de la population se déclare prête à se faire vacciner, tandis qu'un tiers environ veut regarder d’où vient le vent ou ne fait pas confiance au vaccin. D’autres sont carrément opposés à la vaccination. Or, il faut une couverture vaccinale de 70% pour atteindre une immunité de groupe suffisante.
Notre comportement est donc non seulement la clé de la prévention de la propagation du virus, mais il détermine aussi le succès de l’ensemble du programme de vaccination. Deux questions cruciales se posent donc: comment parvenir à une couverture vaccinale suffisante dans la population et comment déterminer une séquence de vaccination.
Débat sans issue
Peu de discussions portent sur les priorités médicales: d'abord les groupes vulnérables dans les maisons de repos, les plus de 65 ans, les plus de 50 ans avec facteurs de risque et le personnel des soins de santé. Ensuite, l'ordre de priorité est nettement moins clair. Le débat peut être alimenté par un large éventail d'arguments éthiques, économiques et sanitaires. Gageons que les différents groupes d'intérêt mettront tout en œuvre pour en orienter les conclusions. La fixation de priorités stimulera des motivations égoïstes et des sentiments d’injustice, colorant négativement la question de la vaccination. Ceux qui seront déclarés prioritaires, mais ne voudront pas se faire vacciner subiront des pressions, ce qui réduira encore leur motivation et donc celle de la population. Bref, la fixation de priorités mènera à un débat sociétal et politique enflammé, polarisant et sans réelle issue.
Les personnes motivées d'abord
Épargnons-nous cette douloureuse discussion et optons pour une solution bien plus simple. Les données récentes du baromètre de motivation montrent que deux facteurs déterminent la volonté de se faire vacciner: la conviction personnelle au sujet de la vaccination et (dans un sens négatif) la méfiance à l'égard du vaccin. Le groupe de travail "Psychologie et Corona" propose donc qu’après les priorités médicales on ouvre la porte à toute personne qui souhaite se faire vacciner volontairement sur la base du principe "premier arrivé, premier servi".
Vacciner les plus motivés offre une série d’avantages.
Tout d'abord, il ne faut pas convaincre ces personnes au préalable. Elles le sont déjà. Ensuite, on retrouve ces personnes dans tous les groupes sociodémographiques du pays même si les personnes âgées se montrent aujourd’hui un brin plus enthousiastes que les plus jeunes. Si ces personnes se vaccinent pour elles-mêmes, elles le font aussi par solidarité avec les autres et pour le bien commun. Elles sont dès lors prêtes à encourager d'autres et se déclarent même disposées à agir en tant qu'ambassadrices dans des campagnes de promotion. Le risque d'abandon entre les deux prises du vaccin sera aussi bien plus limité. En outre, ce sont les personnes motivées qui sont les plus disposées à poursuivre l‘effort des gestes barrières nécessaires au-delà de la vaccination.
Un autre avantage est que ces personnes font confiance au vaccin. Bien sûr, pas de façon inconditionnelle, mais si une analyse scrupuleuse et transparente par des experts d'organismes indépendants conclut que le vaccin est sûr, cette confiance est justifiée. Le manque de confiance présente plusieurs inconvénients. Il va de pair avec la crainte que le vaccin provoque des effets désagréables, et cette crainte est une recette idéale pour l’émergence d’effets nocebo (l'inverse du placebo). Les effets nocebo se produiront donc moins souvent et seront dès lors moins médiatisés. L'administration d'un vaccin, même sûr, sera aussi suivie de problèmes de santé chez certains. Ces cas surgiraient même en l’absence du vaccin, mais peuvent lui être attribués à tort. Or, faire la distinction entre "suivi par" et "causé par" est souvent très difficile. Rien de plus tentant pour les utilisateurs de médias sociaux que de déballer les histoires de gens qui auront développé des symptômes après avoir été vaccinés, alimentant la méfiance. Les personnes qui ont confiance et se font vacciner par conviction sont nettement moins enclines à attribuer à tort l’apparition de symptômes soudains au vaccin.
La simplicité avant tout
En misant sur la liberté de choix comme principe de base, ce sont des images de fierté, de joie et de soulagement qui accompagneront l'administration du vaccin. Cette approche réduit le risque qu’on attribue au vaccin des inconvénients injustifiés, et les témoignages des personnes vaccinées montreront que les effets secondaires sont tout au plus limités et de courte durée. Cela contribuera à faire que celles et ceux qui ont des doutes puissent se défaire de leurs hésitations.
À côté de cela, il faudra entendre les interrogations de la population et fournir l’information nécessaire pour apaiser les craintes. Au vu du rôle central de la confiance, il est également fondamental de pouvoir travailler avec les professionnels de la santé qui, au vu de notre enquête, bénéficient du plus grand crédit.
Il s’agira aussi de mobiliser les nombreuses organisations et associations qui maillent notre pays afin de faciliter l’accès de tous, y compris les plus démunis et les moins informés, à la vaccination. Bien sûr, on aura toujours besoin de communication motivante et de mesures de soutien psychologique, mais au moins nous ne rendrons pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà. En optant pour les personnes vulnérables et les plus motivées d’abord, il s’agit donc de "faire simple", ce qui sera déjà en soi assez difficile sur le plan strictement logistique.
Par Olivier Klein (ULB), Olivier Luminet (UCLouvain), Omer Van den Bergh (KU Leuven), Maarten Vansteenkiste (UGent) et Vincent Yzerbyt (UCLouvain)
Au nom du groupe d’experts "Psychologie & Corona"
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