Hokusai (1830): La grande vague de Kanagawa
Comme le montre cette oeuvre, il se trouve que les risques, tels qu'exprimés en pourcentages ou en probabilités, n'ont qu'une relation très vague avec l'effet psychologique qu'induit leur source. Pour évaluer un risque, nous faisons bien plus souvent appel à des raccourcis mentaux qui n'ont rien avoir avec des chiffres. A cet égard, nos habitudes sont un puissant déterminant de nos évaluations : si je n'ai jamais eu d'accident de vélo, j'en conclus que ce dernier n'est pas dangereux. En ce qui concerne les maladies, si aucune personne proche ne souffre de la fièvre jaune (comme c'est le cas pour la plupart des Belges ...), je ne m'en soucierai guère. Inversement, si j'ai été l'objet d'un coup du sort, fût-il extrêmement improbable, je suis susceptible de vivre avec la perpétuelle inquiétude d'en être à nouveau victime.
Un autre facteur qui pourra influencer la perception du risque est ce qu'on appelle "l'heuristique de disponibilité": si je parviens aisément à construire un récit dans lequel le danger redouté se produit, celui-ci paraît alors plus réaliste, même si les éléments du récit sont eux-mêmes peu probables. C'est la stratégie utilisée par les compagnies d'assurance : en évoquant un scenario de vacances catastrophiques, improbable mais plausible, l'assureur rend plus palpable un risque que vous n'aviez même pas envisagé et il parvient de la sorte à vous convaincre de souscrire une prime supplémentaire. Plus en rapport avec notre microbe, un membre de ma famille s'est rendu récemment dans le sultanat d'Oman. Je le vois toussant deux semaines après son séjour. Il m'est facile d'imaginer que lors de son voyage, il aurait pu rencontrer des Iraniens porteurs du coronavirus (l'Iran n'est pas très loin d'Oman), qu'il aurait ensuite contracté. Le fait, qu'à ce moment, l'incidence de la maladie en Belgique soit quasiment nulle ne m'empêche pas de percevoir tout à coup un risque plus élevé. Sous l'effet de l' imagination, toute personne qui tousse peut devenir suspecte...et le récit sera d'autant plus aisé à construire que nous pouvons rattacher des éléments associés à la maladie à cette personne ("sa copine a été en Italie", "il est d'origine asiatique",...). C'est notre capacité à combler des "trous" dans un récit, qui explique ce phénomène. Ainsi, imaginons que vous projetiez de partir en week-end à Berlin. Vous apprenez la veille de votre départ qu'un touriste en visite dans cette ville a été victime d'un attentat (pour tragique qu'il soit, un risque de mortalité quasiment négligeable en Allemagne). Cet élément sera susceptible de modifier profondément votre comportement (et vous n'êtes pas seul·e: les annulations de nuitées d'hôtel suite à une attaque terroriste sont systématiques): vous imaginerez être en danger si vous maintenez votre voyage ou construirez un récit selon lequel cela n'est que le prélude à une série d'attaques supplémentaires, etc.
Cette heuristique de disponibilité sera particulièrement utilisée en période d'incertitude : faire face de façon chronique à des risques, même élevés, ne suscite pas de panique collective (pensons à la relative impassibilité de la population dans certaines villes fort polluées, comme New Dehli). De même, les habitudes neutralisent l'imagination : à force d'effectuer un trajet matinal sans encombre, nous sommes peu enclins à envisager la perspective de croiser la route d'un chauffard ivre et dangereux. En revanche, l'idée qu'un risque augmente graduellement, voire de façon exponentielle (comme le suggèrent certaines projections concernant le COVID19) est particulièrement anxiogène et met en branle cette heuristique. Un raz de marée hypothétique nous préoccupe bien plus qu'une lame de fond bien réelle. Notre imagination riche, plus ou moins soutenue par les médias (grippe espagnole, documentaire Netflix, prédictions d'experts divers, alignements de cadavres à Wuhan...) éveille à notre conscience une image apocalyptique qui nous semble tout à coup plus que vraisemblable. Le simple fait d'imaginer un scenario rend celui-ci subjectivement plus probable.
En conclusion, c'est l'incertitude, nourrie par notre capacité à imaginer le pire, et non un quelconque risque "objectif" et "mesurable", qui suscite le plus souvent l'angoisse.
Episode 1: Le coronavirus est un terreau fertile pour les théories du complot
Episode 2: La symbiose des médias et des angoisses collectives
Merci pour votre blog ! Une analyse intéressante.
RépondreSupprimerDe mon point de vue, tout dans la vie est une perspective, nous vivons toujours à risque.
RépondreSupprimerNous courons toujours le risque de quelque chose nous arrive ; descendre les escaliers, aller aux toilettes, cuisiner, faire du vélo, conduire, etc. Pensons-nous vraiment au risque que nous courons lorsque nous faisons ce que nous habituellement faisons ? ou le faisons-nous simplement par inertie ?
Tout apprentissage s'accompagne de douleur ou d'une expérience désagréable, puis il devient peur, traumatisme, indécision, etc. C'est juste nous...
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour cet article intéressant.
Comment peut-on prendre un "risque" sans tomber dans la paranoïa? Comment pouvons-nous rompre l'effet de "peur" face au covid alors que beaucoup d'informations dessus restent assez anxiogène?
Merci