Dans La Libre de ce matin paraît un article de Peter Singer, philosophe moral australien fort célèbre et dont les travaux ont notamment inspiré les recherches sur la moralité des carnivores décrites dans un autre billet de ce blog (ne me demandez pas comment Peter Singer en est arrivé à publier un article dans un journal belge francophone).
Dans cet article, Singer se fonde sur le dernier livre du psychologue américain et prof. à Harvard Stephen Pinker (non encore traduit en français), The Better angels of our nature; why violence has declined (littéralement "les meilleurs anges de notre nature: pourquoi la violence a régressé"), qui cherche à expliquer le déclin de la violence en Occident depuis nos ancêtres Chasseurs-Cueilleurs jusqu'à aujourd'hui (si vous ne le croyez pas, voici ci-dessous l'évolution du taux d'homicide en Europe depuis le Moyen-Age).
Singer propose l'hypothèse optimiste selon laquelle nous serions sur la voie d'un progrès moral. Celui-ci s'expliquerait par nos facultés de raisonnement, qui s'accroissent avec les générations et "nous permettent de nous détacher de notre expérience immédiate et de notre étroite perspective personnelle, pour replacer nos idées dans un cadre plus abstrait et universel" (à l'appui de cette idée, l'effet Flynn: on constate une augmentation progressive des scores moyens aux tests de QI depuis que celui-ci est mesuré).
L'ouvrage a fait l'objet d'une recnsion peu élogieuse dans le New Yorker. Elizabeth Kolbert critique notamment le fait que Pinker se concentre principalement sur l'Europe Occidentale et oublie dès lors l'augmentation de la violence en Afrique (notamment) - et plus particulièrement lorsque celle-ci est le prix à payer pour la "paix" des Occidentaux. Par ailleurs Pinker semble minimiser totalement la seconde guerre mondiale: d'après ses savants calculs, ce ne serait "que" le 9ème conflit le plus meurtrier - proportionnellement - de l'Histoire. Elle apparaît donc comme un "accident" dans une tendance générale à la baisse. Pourtant, en pensant à Auschwitz, il semble peut-être "ringard" de considérer que la violence (de masse) et la modernité vont de pair, mais ce n'est pas complètement sans fondement conclut Kolbert.
Je me dois de lire le livre de Pinker (dont il présente un petit résumé dans une conférence en streaming, avec sous-titres en français) mais, à la lumière des arguments de Kolbert, je me demande si on ne devrait pas traiter les conclusions optimistes de Singer, et son idée que la moralité va de pair avec une amélioration de nos capacités de raisonnement, avec prudence...
Plus généralement, il me paraît particulièrement difficile de considérer l'idée que l'humanité puisse être sur la voie d'un "progrès moral" comme une hypothèse testable empiriquement. Le taux d'homicide est certes un élément. Mais, admettons que le nombre moyen de sourires à son voisin, ou de cadeaux spontanés, suive exactement la même courbe, qu'en conclurait-on?
Plus généralement, il me paraît particulièrement difficile de considérer l'idée que l'humanité puisse être sur la voie d'un "progrès moral" comme une hypothèse testable empiriquement. Le taux d'homicide est certes un élément. Mais, admettons que le nombre moyen de sourires à son voisin, ou de cadeaux spontanés, suive exactement la même courbe, qu'en conclurait-on?
oui, les idées de singer sont compatibles avec l'idéologie de l'évolution. si nous évoluons physiquement, pourquoi n'évoluerions-nous pas moralement aussi. je trouve le talk de jonathan haidt (http://www.ted.com/talks/jonathan_haidt_on_the_moral_mind.html) intéressant car il permet d'envisager une autre perspective; une perspective selon laquelle il y aurait une forme d'homéostasie rendue possible par les désaccords entre des groupes qui accordent un poids différents à différentes valeurs. on peut donc connaitre des périodes de moins grande violence mais ces périodes sont transitoires. par ailleurs, les formes que la violence prend peuvent aussi changer, de sorte qu'il est difficile d'affirmer aussi facilement que nous nous améliorons moralement parlant.
RépondreSupprimerJe connais Singer mais Pinker?
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