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Le 11 Novembre 2011. Une information parmi d'autres: un avocat franco-sénégalais, Robert Bourgi, affirme avoir transmis des valises de billets provenant de chefs d'Etat africains dans le but de financer la campagne de Jacques Chirac en 2002. Dominique de Villepin, désigné comme l'un des récipiendaires de ces valises, réagit vivement, nie et décide de porter plainte. Sans doute espérait-il ainsi éteindre la rumeur dans l'opinion publique?
Pour un citoyen relativement peu informé sur ce sujet (comme moi), il est difficile de se prononcer sur la véracité de ces accusations. Si je peux aisément imaginer un tel scénario (détaillé par Bourgi), sur quelle base puis-je y croire ou, au contraire, le dénoncer comme faux?
Nous sommes envahis d'informations (ce blog contribue du reste à cette surabondance). Avec les "informations" viennent les "rumeurs", ces affirmations dont on ne sait si elles sont vraies ou fausses mais que certains ont intérêt à diffuser pour de multiples motifs qui n'ont souvent que peu de rapport avec leur authenticité... Cette question résonne d'une actualité toute particulière alors que la campagne électorale américaine prend son envol. Les candidats, et les groupes de pression qui les soutiennent, recourent de façon massive à des spots publicitaires mettant en cause leurs adversaires. En 2010, la Cour Suprême a levé les plafonds aux donations privées en faveur des campagnes électorales ce qui renforce ce phénomène. Or, ces spots colportent parfois des rumeurs fausses ou infondées. Le candidat démocrate à l'élection présidentielle de 2004, John Kerry, en a fait les frais, lui qui fut accusé (à tort) d'avoir déformé et exagéré ses états de service pendant la guerre du Vietnam. Ces publicités ont joué un rôle non négligeable dans sa défaite. Le fait que des groupes de pression fortunés puissent diffuser des rumeurs fausses qui servent leurs intérêts constitue un danger important pour le fonctionnement démocratique.
Avec les rumeurs viennent aussi souvent les dénis de ceux qui en sont la cible. Les rumeurs sont d'autant plus contagieuses qu'elles ciblent les puissants. Ceux qui sont mis en cause clament haut et fort leur innocence.
Un exemple célèbre en Belgique concerne le ças d'Elio Di Rupo, aujourd'hui premier ministre, qui fut accusé par un jeune homme d'avoir eu des relations sexuelles avec lui alors qu'il était mineur (il fut ultérieurement blanchi). Di Rupo niera fermement.
De telles dénégations contribuent-elles toutefois à éteindre la rumeur? Sans surprise, la réponse est négative...Mais pourquoi?
Avec les rumeurs viennent aussi souvent les dénis de ceux qui en sont la cible. Les rumeurs sont d'autant plus contagieuses qu'elles ciblent les puissants. Ceux qui sont mis en cause clament haut et fort leur innocence.
Un exemple célèbre en Belgique concerne le ças d'Elio Di Rupo, aujourd'hui premier ministre, qui fut accusé par un jeune homme d'avoir eu des relations sexuelles avec lui alors qu'il était mineur (il fut ultérieurement blanchi). Di Rupo niera fermement.
De telles dénégations contribuent-elles toutefois à éteindre la rumeur? Sans surprise, la réponse est négative...Mais pourquoi?
- Premièrement, le simple fait qu'on ait été exposé à une affirmation, fût-elle fausse et identifiée comme telle, peut nous amener à y croire. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, nous ne pèserions pas le "pour" et le "contre" avant de croire à une information qui nous est présentée. Nous l' "avalerions" et c'est uniquement dans certains cas, lorsqu'elle ne cadre pas avec nos connaissances antérieures ou notre perception de la réalité ou encore qu'elle provient d'un locuteur manifestement non fiable que nous la rejetterions. Ce sont les travaux de Dan Gilbert qui ont dévoilé ce phénomène. Dans ses expériences, les sujets visualisent des informations explicitement décrites comme "vraies" ou "fausses". Ultérieurement, ils sont amenés à effectuer un jugement sur base de ces informations (par exemple, juger de la peine qu'il semblerait légitime d'infliger à un prévenu en fonction des circonstances atténuantes ou aggravantes présentées préalablement). Les jugements des sujets sont influencés par les informations fausses et ce, particulièrement lorsqu'ils doivent effectuer une tâche concurrente pendant la lecture des informations. Ceci montre que pour rejeter une affirmation fausse, c.à.d.pour ne pas l'absorber automatiquement, il faut faire un "effort" et disposer de suffisamment de ressources cognitives. Au regard de l'abondance d'informations auxquelles nous sommes très souvent exposés, c'est sans doute loin d'être la norme. Nous sommes donc amenés à tenir pour vraies des allégations dont nous savions pourtant qu'elles étaient susceptibles d'être douteuses au moment où nous y avons été exposés.
- Une seconde raison réside dans le fait qu'une fois la rumeur disséminée, s'enclenche un travail d'explication. Par exemple, on va chercher à expliquer le fait que tel homme politique ait pu violer une femme de chambre par son lourd passé d'érotomane. Si la rumeur s'avère non fondée, l'explication qui en rendait compte subsiste malgré tout. On a trouvé de "bonnes raisons" que la rumeur soit vraie. Et celle-ci nous apparaît dès lors plus plausible que si on n'y avait jamais été exposé. On qualifie ce phénomène de "persévérance des croyances". Les études sur ce thème ont présenté des "faits" à leurs sujets, qui devaient ensuite les expliquer ou non selon les groupes expérimentaux. Une fois l'explication fournie, on leur signalait que ces "faits" étaient en fait fictifs. Les sujets persistaient à les considérer comme davantage plausibles que ceux qui n'y avaient jamais été exposés, surtout s'ils avaient dû préalablement expliquer ces pseudo-faits.
- Troisième raison: L'un des éléments qui nous mène à considérer une affirmation comme vraie est le sentiment de familiarité qu'éveille cette dernière. Avoir "déjà entendu quelque chose plusieurs fois" nous mène à le considérer comme vrai. Selon Schwarz et Clore, le sentiment de familiarité ainsi suscité nous mène à supposer que "beaucoup de gens y croient" et donc que "ça doit être vrai". En effet, la simple exposition répétée à des affirmations rend celles-ci plus susceptibles d'être jugées vraies (même si elles sont fausses). De façon intéressante, il est possible de dissocier expérimentalement le sentiment de familiarité de la familiarité objective (par exemple en faisant croire à des gens qu'ils ont déjà entendu des affirmations qui sont en fait nouvelles). Et on constate effectivement que chacune des deux variables nous induit à percevoir une affirmation comme vraie.
Une expérience intéressante de Skurnik et al. (2005), illustre les conséquences de ce phénomène de façon fort frappante. Ces auteurs ont présenté des informations relatives à la santé à deux groupes de sujets (jeunes adultes et personnes âgées). Ces dernières étaient toutes imaginaires et donc nouvelles pour les sujets. Toutefois, certaines étaient présentées comme vraies et d'autres comme fausses. Par exemple, une information pourrait être "Une exposition régulière au soleil contribue à réduire le cholestérol" (faux). Ces informations étaient présentées soit une soit trois fois. Trois jours plus tard, on demandait aux sujets de mentionner pour chaque information si elle était vraie ou fausse. Bien sûr, les sujets faisaient des erreurs. Mais ils avaient davantage tendance à considérer comme "vraies" des affirmations fausses que l'inverse. Donc, à force de voir des informations fausses, ils finissaient par les croire vraies. Ceci était surtout vrai chez les personnes âgées. En effet, on voit ci-dessous que, chez ces dernières, les erreurs sont plus fréquentes dans un sens (répondre qu'une affirmation fausse est vraie) que dans l'autre (répondre qu'une affirmation vraie est fausse).
- Quatrième raison (liée à la troisième): Plus généralement, le simple fait de traiter une information facilement et aisément peut entraîner des conséquences sur l'évaluation de sa véracité. Selon Schwarz, nous évaluons le traitement d'une information selon le degré de facilité avec lequel nous effectuons ce traitement. Par exemple, la lecture d'un paragraphe de la Critique de la Raison Pure éveillera sans doute un sentiment de difficulté plus important que la lecture du catalogue de La Redoute. Selon Schwarz, ce jugement interviendra à notre insu dans l'évaluation du contenu du message. Par exemple, une information simple et facile à comprendre, voire simplement à lire, sera jugée plus vraisemblable qu'une information complexe ou difficile à comprendre. A l'appui de cette hypothèse, les sujets de Reber et Schwarz croyaient un énoncé davantage vraisemblable s'il était présenté de façon très facilement lisible (haut contraste entre la couleur du texte et le fond) que s'il était difficilement lisible (faible contraste). Sans nous en rendre compte, nous utilisons donc la fluidité avec laquelle nous traitons une information comme critère pour évaluer sa véracité. Comme une rumeur nous est souvent familière à force d'avoir été répétée, elle est souvent très facile à comprendre et à interpréter et prête donc particulièrement le flanc à ce type de biais.
- Cinquième raison: Lorsque quelqu'un vous présente une négation (par exemple, "X n'est pas érotomane"), vous supposez que celle-ci n'a pas été exprimée "par hasard". Si ce locuteur a jugé bon de l'exprimer, c'est que son contraire a été envisagé. Sinon, pourquoi en parlerait-on? De ce fait, on croit plus à une affirmation fausse ("Obama est alcoolique") si on a été exposé à sa négation ("Obama n'est pas alcoolique") que si on n'y a pas été exposé du tout. Ceci a été très bien montré dans plusieurs expériences. En particulier, Holtgraves et Gayer (1994) ont montré à leurs sujets le compte rendu d'audience d'un prévenu qui niait différentes accusations (dans une condition contrôle, il ne les niait pas). On demandait aux sujets d'évaluer la véracité de ces accusations et la culpabilité du prévenu. Comme on peut s'y attendre, le déni avait peu d'influence sur le jugement de véracité. Mais, surtout, un prévenu qui nie semblait plus susceptible d'être coupable, et ce surtout si ces dénis étaient présentés en l'absence des questions du procureur. En effet, dans ce cas, le sujet se dit sans doute "s'il croit pertinent de nier ces accusations sans qu'on lui ait rien demandé, c'est qu'elles doivent avoir un fond de vérité".
Si vous voyez d'autres raisons de ne pas croire au dénis, n'hésitez pas à m'en faire part...
PS: Sur un sujet voisin, voir aussi le billet "Est-il irrationnel de croire aux théories du complot?"
PS: Sur un sujet voisin, voir aussi le billet "Est-il irrationnel de croire aux théories du complot?"
References
- Gilbert, D.T., R.W. Tafarodi, and P.S. Malone, You can't not believe everything you read. Journal of Personality and Social Psychology, 1993. 65(2): p. 221-33.
- Gruenfeld, D.H. and R.S. Wyer, Semantics and pragmatics of social influence: How affirmations and denials affect beliefs in referent propositions. Journal of Personality and Social Psychology, 1992. 62(1): p. 38.
- Holtgraves, T. and A.R. Grayer (1994), I am not a crook: Effects of denials on perceptions of a defendant's guilt, personality, and motives. Journal of Applied Social Psychology. 24: p. 2132-2150.
- Reber, R. and N. Schwarz, Effects of Perceptual Fluency on Judgments of Truth. Consciousness and Cognition, 1999. 8: p. 338-342
- Skurnik, I., et al., How warnings about false claims become recommendations. Journal of Consumer Research, 2005. 31: p. 713-724.
Bonjour Olivier,
RépondreSupprimerBravo pour ce blog bien intéressant. Je me pose une question sur la raison 4 que tu explicites. Reber & Schwarz travaillent sur la fluidité perceptive, donc sur la lisibilité plus ou moins facile de l'information. Or, nous avons fait nous-mêmes quelques manips qui travaillent, elles, sur le le niveau de difficulté du vocabulaire employé. Ainsi, une même information à propos d'un individu dépressif utilisant le langage courant ou un langage de type Lacanien est présentée à deux groupes de sujets. La version Lacan est significativement perçue comme la plus crédible. En d'autres termes, le jargon psychanalytique rend l'information davantage digne de foi (car sans doute perçue comme plus "scientifique") que le langage courant. De là à envisager une manip qui croiserait difficulté perceptive et difficulté de vocabulaire, il n'y a qu'un pas...
Excellent article !
RépondreSupprimerAvec votre accord, j'aimerais le diffuser sur mon blog (http://etudiant-en-psycho.blogspot.fr), en citant bien évidemment son auteur, sa source ainsi que l'hyperlien pointant vers celui-ci.
Je viens de découvrir ce blog sur twitter, je vous souhaite une excellente continuation !
Anthony
Merci, Anthony. Ravi que cela vous intéresse. Bien sûr, n'hésitez pas à diffuser.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerTrès excellent! je dirais meme plus
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