Lorsqu'un groupe social a été victime d'une persécution massive, la réponse immédiate, parmi les survivants, peut être le silence nourri, parfois, par un sentiment de culpabilité: pourquoi moi et pas les autres? Le silence peut également être alimenté par la volonté de ne pas confronter les générations à venir à l'horreur des souvenirs qui nous habitent. Cette culture du silence est fort bien illustrée dans la bande dessinée "Maus" d'Art Spiegelman, dans laquelle on voit un père rescapé qui s'est gardé de raconter les horreurs vécues dans les camps jusqu'à que son fils adulte ne l'y presse (et l'accouchement restera bien difficile).
Si on ne peut évidemment nier que l'expérience d'un génocide soit traumatisante pour les rescapés, il est permis de se demander si l'idée même du génocide est susceptible d'avoir un tel effet sur les générations suivantes. Y a-t-il une transmission intergénérationnelle du trauma? Une question qui a fait couler beaucoup d'encre en particulier chez des philosophes et psychanalystes juifs (on trouve une bonne synthèse en anglais de ces approches dans ce document sur le site de Yad Vashem).
Une étude récente menée par deux psychologues sociaux, Michael Wohl de l'Université d'Ottawa et Jay Van Bavel de la New York University auprès de juifs canadiens adultes (âge moyen de 29 ans), dont certains étaient descendants de victimes de l'Holocauste, a cherché précisément à répondre à cette première question en soumettant à ces personnes un questionnaire évaluant des symptômes typiques du "syndrome de stress post-traumatique" en rapport, toutefois, avec l'Holocauste. Voici la définition que propose wikipédia de ce syndrome:
"Le trouble de stress post-traumatique est une réaction psychologique consécutive à une situation durant laquelle l'intégrité physique et/ou psychologique du patient et/ou de son entourage a été menacée et/ou effectivement atteinte (notamment accident grave, mort violente, viol, agression, maladie grave, guerre, attentat). La réaction inéimmédiate à l'événement aura été traduite par une peur intense, par un sentiment d'impuissance ou par un sentiment d'horreur."
Du reste, le questionnaire employé par Wohl et Van Bavel avait déjà été utilisé pour évaluer des symptômes de ce syndrome chez des victimes de traumas plus directs par ex. suite à un accident de voiture ou d'agressions sexuelles. En pratique, ces auteurs demandaient aux participants à leur étude dans quelle mesure ils étaient en accord avec des affirmations comme "Je me suis déjà senti physiquement dérangé par des rappels de l'holocauste" ou "J'ai eu des souvenirs, des images ou des pensées douloureuses à propos de l'holocauste" sur des échelles de 0 (pas du tout) à 4 (très fort). Les auteurs ont calculé la somme de ces scores pour les 17 questions. D'après ma lecture de l'article, celle-ci pouvait donc varier entre 0 et 4*18 soit 72. La moyenne observée sur les 84 sujets est de 10.17, indiquant, dans l'absolu, des symptômes de stress post traumatique assez légers! Voici qui est rassurant.
...Mais là n'est pas l'aspect le plus intéressant de l'étude. Une question plus stimulante consiste à savoir si les descendants de survivants de l'Holocauste sont davantage victimes de ces symptômes que les autres. La réponse est non. Dans l'absolu, cela ne fait aucune différence...
Jusqu'ici rien de bien excitant me direz-vous...
Question suivante: est-ce que le fait de se sentir juif exerce un effet quelconque sur l'apparition de ces symptômes de stress et si oui, lequel? Ici, on pourrait émettre deux hypothèses opposées: le fait d'avoir une identité juive très forte devrait peut-être rendre les gens plus sensibles aux représentations de l'Holocauste et à la résurgence possible de la menace. On s'attendrait donc à une augmentation des symptômes de stress. Inversement, il est envisageable que l'identification ait un effet "protecteur". Le fait de se sentir appartenir à une communauté peut procurer un sentiment de soutien permettant de faire face au trauma. Dans cette éventualité, c'est le fait d'être psychologiquement isolé d'une communauté qui rend plus vulnérable au traumatisme. Wohl et Van Bavel constatent qu'en moyenne, c'est la seconde hypothèse qui est étayée, c'elle de l' "identification curatrice" donc.
Voici qui est déjà un peu plus stimulant...Là où cela le devient plus encore, c'est lorsqu'on se pose la question suivante: est-ce que cette hypothèse de l'identification curatrice est aussi valide pour les descendants de rescapés que pour les autres? Et là, la réponse est clairement négative. Comme on le voit sur la figure ci-dessous, elle n'est validée que chez les no- descendants. Chez les descendants, c'est l'inverse qui s'observe: plus ils s'identifient, plus ils sont victimes de symptômes de stress post traumatique.
Voilà qui a de quoi titiller notre curiosité...Pourquoi observe-t-on cet effet? Wohl et Van Bavel subodorent que des dynamiques intrafamiliales pourraient expliquer cette différence. Pour ce faire, ils demandent à leurs sujets d'évaluer dans quelle mesure ils avaient évoqué, discuté, de l'Holocauste au sein de leurs familles. On pourrait s'attendre à ce que, chez les personnes fortement identifiées, la Shoah ait plus souvent fait l'objet de discussions familiales. En effet, c'est ce qu'on observe...mais uniquement chez les personnes qui ne descendent pas de rescapés. Chez les autres, on observe l'effet inverse: ceux qui s'identifient fort à la communauté juive rapportent avoir moins discuté de l'Holocauste au sein de leur famille que les autres. Nous voilà donc confrontés à l'hypothèse d'une forme de tabou, d'une "culture du silence", chez les descendants, fortement identifiés, de survivants.
Plus intéressant encore: on constate que ceux qui rapportent avoir discuté de l'Holocauste avec leurs parents sont aussi ceux qui rapportent le moins de symptômes post-traumatiques. Grâce à une méthode d'analyse statistique, Wohl et Van Bavel affirment même que c'est parce que les descendants fort identifiés parlent moins de l'Holocauste que les non descendants qu'ils rapportent davantage de symptômes...Il semble donc que, contrairement au silence, la parole permet aux enfants de se surmonter les horreurs vécues par les parents.
Source: Wohl, M.J. & Van Bavel, J. (2011). Is identifying with a historically victimized group good or bad for your health? Transgenerational post-traumatic stress and collective victimization, European Journal of Social Psychology, 41, 818-824.
Je n'avais pas vu cet article. Intéressant, car si le sujet est pas mal étudié sous l'angle clinique, c'est plus rare d'avoir des études utilisant l'approche psycho-sociale...
RépondreSupprimerDeux questions (et après j'arrête de parcourir le blog et je retourne bosser !...):
- Est-ce que Wohl & Van Bavel ont précisé dans leur étude quel était le rang des descendants ?
S'agit-il de descendants de 1ère génération (enfants dont les parents sont des survivants) ou de 2ème génération (enfant d'enfants dont les parents sont des survivants) ? Vu l'âge des sujets, ça doit plutôt être des descendants de seconde génération, non ?
- Comment a été mesuré le niveau d'identification juive des sujets ? Je pose la question, car il me semble que le contexte d'identification est un facteur important (j'ai le souvenir d'une étude faite en Israel sur des descendants juifs israéliens de 3ème génération, pour lesquel il est très clair que l'identification juive est relativement différente de celle qu'on peut retrouver en diaspora... je pourrais retrouver cette étude en cherchant un peu, si cela t'intéresse)
Merci pour ton commentaire, Céline; Voici mes réponse:
Supprimer1-Non. Ils ne le précisent pas. Mais je suis d'accord avec toi que cela doit être 2ème voire troisième génération. C'est un peu malheureux que la revue n'ait pas exigé qu'ils soient plus précis de ce point de vue là.
2-Ici, je te cite ce qui est écrit dans le papier:
"To assess collective identification, participants completed a measure of Jewish group identification (Phinney, 1992). This 12-item measure was anchored at 1 = strongly disagree and 7 = strongly agree (e.g., ‘I feel a strong attachment towards the Jewish community’, and ‘I have a lot of pride in the Jewish community’). Higher scores reflected greater Jewish identification (α = .89)."
L'étude que tu mentionnes m'intéresse si ce n'est pas trop compliqué pour toi de la retrouver. Ici, ce sont manifestement des canadiens et pas des israéliens.
Bonjour, merci pour cet article très intéressant.
RépondreSupprimerIl s'agit ici des effets d'un trauma collectif. Y a-t-il également quelques informations ou références concernant les effets d'un trauma individuel sur la descendance ?
Merci d'avance.
Florence
Florence,
RépondreSupprimerOui. Il y a une littérature importante sur ce sujet en psychologie clinique et en psychiatrie. Mais je maîtrise très mal cette littérature. J'ai par exemple trouvé ceci:
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0022395601000322
Bien à vous,
pour repondre aux syndromes de 1ere, 2eme ou 3 eme génération, sachez que je suis la fille d'un rescapé de la shoah qui avait 15 ans quand il fut déporté à Aushwitz. Survivant, il a vu tant d'horreurs qu'il a mis du temps pour reprendre une vie normale, se marier, et le plus dur avoir un enfant, pensant à ceux qu'il a vu dans les fours. J'ai aujourd'hui 43 ans en 2014 et je suis descendante de 1ere génération. Les symptômes existent je peux vous l'assurer
RépondreSupprimerQUELLE CONNERIE CETTE ETUDE. UNE HONTE POUR LES GENS QUI SOUFFRENT. UNE MECONNAISSANCE DE LA VERITE. A LA REALITE ESTOMPEE. CA COLLE A LA PEAU. CA COLLE A LA PEAU. CA COLLE A LA PEAU. A L 'INFINI DE L'HISTOIRE. QUI N'EN FINIT PAS. 6.000.000 SANS SEPULTURES. 6.000.000 D'AMES QUI HANTENT. LES GENERATIONS. DESCENDANTES. A VENIR. 6.000.000 DE DESCENDANTS. PIERRES TOMBALES. DE CEUX QUI LES ONT PRECEDES. J'AI HONTE POUR LES AUTEURS DE CET ARTICLE. QUI NIENT L'EVIDENCE. DES TRAUMATISMES. LIES A LA SHOAH !!!!!!!
RépondreSupprimerHello mate niice post
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